Abstract
Appréciation de la Chambre de recours
(...)
Sur le premier moyen tiré de l’irrégularité de la procédure,
17. En vertu de l’article 16, paragraphe 2 du Statut, « lorsqu’un chargé de cours est recruté à durée indéterminée (...), chacune des parties est en droit de résilier le contrat ».
En vertu de l’article 44, paragraphe 1 du Statut, « le Directeur est seul compétent pour lancer la procédure disciplinaire et prononcer la sanction correspondante vis-à-vis d’un membre du personnel chargé de cours ».
Au titre des sanctions disciplinaires prévues à l’article 45 du Statut, le Directeur - à qui il appartient de déterminer la gravité de la faute commise - peut décider de « la résiliation du contrat, conformément à l’article 18 du Statut, dans le cas d’une faute très grave” – l’article 18 visant expressément une résiliation extraordinaire, sanctionnée en vertu de l’article 15 par une fin automatique du contrat sans préavis ou droit à indemnité.
Il résulte des termes de ces dispositions, et notamment du large pouvoir d’appréciation qu’elles confèrent aux Écoles dans les domaines contractuel et disciplinaire, que même en cas de faute éventuellement susceptible de justifier le licenciement pour motif disciplinaire d’un Chargé de cours, rien n’oblige une École à engager une procédure disciplinaire à l’encontre de l’intéressé plutôt que de recourir à la faculté de résiliation unilatérale du contrat prévue à l’article 16, paragraphe 2 du Statut. Ce n’est que dans l’hypothèse où l’École entend licencier sans préavis le Chargé de cours qui a commis une faute trèsgrave, sur base de l’article 18 du Statut, qu’il convient d’engager la procédure disciplinaire prévue au chapitre VIII du Statut.
18. Si l’École pouvait donc résilier le contrat du requérant directement sur base de l’article 16, paragraphe 2 du Statut sans organiser une procédure disciplinaire, elle était néanmoins tenue de garantir les droits de la défense du requérant, et notamment le droit d’être entendu, consacré à l’article 41, paragraphe 2, premier tiret de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Conformément à une jurisprudence constante de la Chambre de recours, conforme à celle de la Cour de Justice de l’Union européenne, le respect des droits de la défense dans toute procédure susceptible d’aboutir à un acte faisant grief à une personne constitue un principe fondamental du droit de l’Union et doit être garanti même en l’absence d’une réglementation spécifique concernant la procédure en cause (voir notamment les décisions de la Chambre du 30 novembre 2021, recours 21/44 (point 10), du 19 décembre 2019, recours 19/16 (point 9), du 28 août 2016, recours 16/266 (point 19), du 2 février 2016, recours 15/42 (point 13), du 29 septembre 2015, recours 15/12N (point 20) et du 11 février 2013, recours 13/42 (point 10)).
Il est également pertinent de rappeler qu’une jurisprudence abondante du juge de l’Union souligne l’importance qu’il attache au droit d’être entendu. À titre d’exemple, dans son arrêt du 8 octobre 2015, dans les affaires F-106/13 et F-25/14, DD /FRA, le Tribunal de la Fonction publique a rappelé qu’« il découle du principe général du droit de l’Union du respect des droits de la défense et, en particulier, du droit d’être entendu, consacré à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, que l’intéressé doit être mis en mesure, préalablement à l’édiction de la décision qui l’affecte négativement, de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et circonstances sur la base desquels cette décision a été adoptée. En outre, le respect du droit d’être entendu s’impose même lorsque la réglementation applicable ne prévoit pas expressément une telle formalité (point 89). ».
Dans ce même arrêt, le Tribunal de la Fonction publique a souligné l’importance particulière qu’il attache au droit d’être entendu avant la prise d’une décision de résiliation de contrat :
« De surcroît, une décision de résiliation constitue un acte d’une extrême gravité pour l’agent concerné, qui perd ainsi son emploi et dont la carrière pourrait être affectée négativement pendant de nombreuses années. Outre le fait que le droit d’être entendu avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son égard est un droit fondamental dudit agent, l’exercice par ce dernier du droit de s’exprimer utilement sur la décision de résiliation envisagée relève de la responsabilité de l’autorité habilitée à conclure les contrats d’engagement, responsabilité qu’elle doit assurer de manière scrupuleuse » (point 95).
Les principes généraux du droit de l’Union ainsi rappelés par le juge de l’Union dans le contexte du droit de la fonction publique de l’Union doivent guider également les Écoles lorsqu’elles envisagent le licenciement d’un Chargé de cours pour manquement à ses obligations.
19. Le respect du droit d’être d’entendu implique concrètement que, lorsqu’une Ecole envisage une possible résiliation de contrat pour manquement aux obligations, elle doit procéder en deux étapes : dans un premier temps, elle informe l’intéressé des faits et circonstances sur la base desquels elle envisage un possible licenciement et lui accorde un délai pour faire valoir ses observations. Et ensuite, elle apprécie les observations de l’intéressé et décide s’il y a lieu ou non de procéder au licenciement.
Or, force est de constater qu’il résulte de l’étude du dossier et des réponses aux questions posées à l’audience que rien ne permet de conclure que le requérant ait été mis en mesure de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et circonstances sur la base desquels la décision de résiliation a été adoptée, ou même qu’il ait été informé de ceux-ci de manière suffisamment précise et en temps utile.
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Sur ce premier aspect, la circonstance que les éléments étaient connus du requérant n’implique pas qu’il savait qu’ils étaient reprochés contre lui dans le cadre de son licenciement et n’enlève en rien au fait qu’il a été privé du droit de faire valoir ses observations quant à leur pertinence et leur réalité.
Sur le second aspect, notons que, dans le contexte comparable de la résiliation de contrats d’agents temporaires des institutions, le juge de l’Union s’est montré peu enclin à admettre des régularisations a posteriori aux manquements au droit d’être entendu dans des situations où, comme dans le cas espèce, le dommage est fait au moment de la prise de la décision (voir arrêt du 8 octobre 2015, DD / FRA (F-106/13 et F-25/14) (cf. points 97, 98)).
Précisons, enfin, que la situation dans la présente affaire est différente de celle de l’affaire 19/58 où les documents admis en cours d’instance venaient compléter des documents transmis au requérant auparavant.
Il résulte de ce qui précède que la décision de l’École du 8 juin 2022 portant résiliation du contrat du requérant est entachée d’une illégalité en ce qu’elle a été prise en violation de son droit d’être entendu.
20. Il n’est pas nécessaire, au vu de ce constat, d’examiner le second moyen.
Sur les conséquences à tirer de l’illégalité de la décision de licenciement,
21. Il y a lieu, tout d’abord, de faire droit à la première conclusion du requérant et d’annuler la décision du Secrétaire général des Écoles européennes du 8 décembre 2022 rejetant de manière explicite le recours administratif du requérant.
22. Le requérant ne demande pas l’annulation de la décision de licenciement mais le paiement d’une indemnité « pour licenciement manifestement déraisonnable équivalente à 12 mois de rémunération comprenant les avantages acquis en vertu du contrat, à majorer des intérêts légaux » ainsi que d’une indemnité « équivalente à 6 mois de rémunération à titre de dommages et intérêts pour abus de droit de licenciement, à majorer des intérêts légaux ».
Il appartient à la Chambre de recours d’apprécier la demande en indemnité, non pas par rapport aux notions de droit national de « licenciement déraisonnable » ou de « licenciement abusif », mais sur base des principes généraux régissant la responsabilité non contractuelle des Écoles vis-à-vis des Chargés de cours.
Dans ce contexte, la Chambre de recours constate qu’il résulte de ce qui précède que la décision de licenciement du requérant adoptée par l’École est entachée d’une illégalité, qu’il ne saurait être contesté que le requérant a subi un préjudice financier du fait de son licenciement et qu’il existe donc un lien de causalité clair entre le comportement illégal imputable à l’École et une partie du dommage subi par le requérant. Les conditions sont donc réunies pour ordonner le paiement d’une indemnité en réparation.
Dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, conférée par l’article 27, paragraphe 2 de la Convention portant statut des Écoles européennes, et rappelant que le requérant a opté de ne pas bénéficier de l’annulation de la décision de licenciement, la Chambre de recours évalue l’indemnité additionnelle à payer au requérant à quatre mois de traitement. Avec ce paiement additionnel, ajouté aux six mois de salaire déjà payés à titre de préavis, le requérant bénéficie d’un montant correspondant au maximum de dix mois de préavis prévus à l’article 16, paragraphe 2 du Statut.
23. S’agissant du préjudice moral allégué par le requérant, la Chambre de recours considère que la déclaration de l’illégalité de la décision de licenciement contenue dans la présente décision est suffisante pour réparer ce préjudice.
24. S’agissant de la conclusion du requérant visant à « condamner l’École européenne de Bruxelles II à délivrer un nouveau certificat de chômage C4 ‘neutre’ ne reprenant aucun grief contre le requérant », il importe de rappeler que si la Chambre de recours n’est pas compétente pour se substituer à l’École ou prononcer des injonctions à son égard, cette dernière doit néanmoins, en vertu de l’article 27, paragraphe 6 de la Convention portant statut des Écoles européennes, selon lequel « les arrêts de la Chambre de recours sont obligatoires pour les parties », se conformer à la décision qui lui est notifiée.
Il appartient dès lors à l’École d’apprécier de nouveau la demande du requérant visant à faire enlever la mention blessante du certificat de chômage, en prenant en considération le fait que la décision de le licencier en raison de « problèmes de comportement » a été adoptée à l’issue d’une procédure entachée d’illégalité de sorte que le manquement reproché ne peut pas être considéré comme ayant été légalement établi.