BDCREE

Chambre de Recours des Ecoles européennes

Numéro de décision: 19/60


Date de décision: 02.03.2020


Mots-clés

  • changement de Langue I
  • appréciation des capacités pédagogiques

Texte intégral

  • EN: The English version doesn’t exist
  • FR: Cliquer ici
  • DE: Die deutsche Version existiert nich

Abstract

Sur le fond,
9. Afin de répondre aux moyens du présent recours, il convient de rappeler les principes de base sur lesquels repose le système des Ecoles européennes.
Ces Ecoles ont été créées par une Convention internationale entre l'Union européenne et ses États membres. Selon le préambule de cette Convention, les Ecoles européennes sont « un système sui generis » qui réalise une forme de coopération entre les parties « tout en respectant pleinement la responsabilité des États membres pour le contenu de l'enseignement et l'organisation de leur système éducatif ainsi que leur diversité culturelle et linguistique ».
La préservation de la diversité culturelle et linguistique souhaitée par les États membres et l'Union est essentielle pour protéger les racines culturelles des enfants lorsque leurs parents exercent leurs activités au sein et au profit de l'Union européenne. Elle permet de garantir que les enfants puissent être éduqués dans un environnement international tout en respectant les différentes traditions culturelles et linguistiques nationales, dans un cadre de compréhension mutuelle et d'échange fructueux.
En vertu de l'article 10 de la Convention, le Conseil supérieur, composé de représentants des États membres et de la Commission, est chargé de veiller à l'application de la Convention et, à cet effet, il dispose d’un large pouvoir décisionnel en matière pédagogique, comme financière et administrative.
Ainsi, conformément à l'article 47 e) du Règlement général approuvé par le Conseil supérieur, un « principe fondamental des Ecoles européennes est l’enseignement de la langue maternelle/langue dominante en tant que première langue (L1). Ce principe implique l’inscription de l’élève dans la section de sa langue maternelle/langue dominante là où cette section existe ». Selon la même disposition, « la détermination de la première langue (L1) n’est pas laissée au libre choix des parents mais incombe au Directeur de l’école » et elle doit « correspondre à la langue maternelle ou dominante de l’enfant ». Enfin, «la détermination de la langue L1 au moment de l’inscription de l’élève est en principe définitive ».
Il découle des dispositions rappelées ci-dessus que les Ecoles européennes ne sont pas une école de langues ordinaire, où les enfants peuvent être inscrits dans la section linguistique choisie par leurs parents. Au contraire, ils sont dans un système scolaire international régi par des règles pédagogiques et administratives établies par le Conseil supérieur conformément aux principes et aux fins de la Convention.
Il y a lieu d’ajouter à cet égard que, selon l’article 28 du Règlement général, « En demandant au directeur ou à l’Autorité centrale des inscriptions des Ecoles européennes de Bruxelles l'inscription d’un élève, l’élève et ses représentants légaux s'engagent à respecter les Règlements pris en exécution de la Convention portant Statut des Écoles européennes (…) ».
C'est en référence à ce cadre juridique ainsi précisé que la question de la légalité de la décision attaquée doit être analysée par la présente Chambre de recours.

10. Premier moyen : erreur manifeste d’appréciation
Tout d'abord, il est incontestable que lorsque [A] a été inscrite dans le système des Ecoles européennes, ses parents eux-mêmes ont déclaré que sa langue maternelle était le croate. [A] a vécu en Croatie jusqu'à l'âge de six ans et ses deux parents sont de langue maternelle croate.
Il ressort du recours que la langue croate reste une langue parlée dans la famille, bien que l'anglais et le français y aient été ajoutés. Les requérants affirment désormais, dans la réplique, qu’ils ont cessé de parler croate avec [A]. Toutefois, cette circonstance ne peut être retenue en faveur de la thèse des requérants. Si les parents d'un enfant inscrit dans les Ecoles européennes pouvaient justifier un changement de Langue 1 au motif qu'ils ont décidé de changer la langue dans laquelle ils s'adressent à leur enfant, cela reviendrait à permettre de contourner facilement deux règles fondamentales prévues à l'article 47 e), à savoir d’une part que la détermination de la Langue 1 est en principe définitive et d’autre part qu'elle n'est pas laissée au libre choix des parents.
À cet égard, la Chambre de recours ajoute que dans un environnement international tel que celui des Ecoles européennes, il n'est pas rare que les enfants acquièrent la connaissance d'une deuxième langue à un niveau similaire à celui de leur langue maternelle. Si cet élément pouvait, en soi, être utilisé pour justifier un changement de L1, c'est tout le système éducatif tel que souhaité par les États membres et l'Union, qui serait remis en cause. La Chambre de recours n’entend pas nier totalement la liberté des parents de faire les choix linguistiques et pédagogiques qu'ils jugent les plus appropriés dans l’intérêt de leurs enfants. Ils ne peuvent cependant pas prétendre que, en raison de leurs choix, les Ecoles européennes ne respecteraient pas les principes et les règles établis conformément à la Convention internationale portant leur Statut.

11. Enfin, la Chambre de recours considère qu’en tout état de cause les certificats médicaux présentés par les requérants ne sont pas de nature à remettre en cause la légalité de la décision attaquée. Certains de ces certificats recommandent que [A] quitte les cours suivis en croate afin de retrouver son bien-être. Toutefois, ainsi que l’impose l'article 47 e), le changement de L1 ne peut être autorisé que par le Directeur et pour des motifs pédagogiques impérieux, dûment constatés par le Conseil de classe.
Ainsi que cette Chambre l'a déjà souligné à plusieurs reprises, ces motifs doivent faire apparaître le changement de langue comme indispensable ou fondamentalement nécessaire au développement pédagogique de l'enfant (voir sa décision 15/47 du 15 décembre 2015, point 18).
Par conséquent, un certificat médical ne peut, en soi, imposer un changement de Langue 1, même s'il affirme, en écho à la jurisprudence de cette Chambre, qu'un tel changement est indispensable ou fondamental pour le bien-être de l'enfant. En réalité, pour la stricte application du RGEE, au contrôle de laquelle la Chambre de recours est tenue, un tel constat est réservé au seul Conseil de classe, qui est le mieux placé pour apprécier le contexte pédagogique des élèves.
Comme il a été déjà jugé, l’appréciation pédagogique appartient aux enseignants, auxquels la Chambre de recours ne peut se substituer, sauf erreur manifeste d’appréciation ou vice de procédure (voir sa décision du 7 février 2018, recours 17-45 R et 17-45 et sa décision 19/26 du 18 septembre 2019, point 8). Etant donné que la décision attaquée indique qu'aucun membre du Conseil de classe n'a établi l'existence des motifs pédagogiques impérieux qui conseillent de changer la L1 de [A] et que rien dans le procès-verbal du Conseil de classe ne contredit cette conclusion, la Chambre de recours ne peut relever aucune erreur manifeste d'appréciation de la part du Directeur, du Conseil de classe ou du Secrétariat général des Ecoles lorsqu’il répond au recours administratif.
Le premier moyen du recours doit être, par conséquent, rejeté.

14. Il ressort de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté comme non fondé dans son ensemble.