Abstract
Sur le fond,
16. L’article 47 e) du RGEE prévoit dans ses alinéas premier, quatrième, sixième et septième :
(...)
18. L’affirmation des requérants, dans leur recours, selon laquelle c’est de manière artificielle que la langue maternelle/dominante a été considérée par le Directeur de l’Ecole comme étant le polonais, en argumentant que l’enfant ne parlait pas encore au moment où ils ont complété le dossier en vue de l’inscription de leur fille, ne peut remettre en cause le choix de la section linguistique polonaise. En effet, tout en précisant dans le formulaire d’inscription, d’une part, que la langue parlée avec la mère est le polonais et, d’autre part, que celle parlée avec le père est le français, mais en optant ensuite sans ambiguïté pour la section linguistique polonaise, les parents ont formellement admis que la langue maternelle/dominante de cette élève est le polonais. Le fait que le polonais soit la langue parlée par un des parents (in casu la mère) avec [A] et que les deux parents ont considéré cette langue comme maternelle/dominante, suffisait à justifier son inscription en section polonaise.
Les éléments factuels, avancés aujourd’hui par les requérants pour contester ce choix, ne sont pas de nature à le remettre en cause. En effet, le fait que la langue du foyer familial est le français ; que leur fils est depuis son passage vers le cycle primaire en 2013 scolarisé en section francophone ; qu’en 2015 et 2016, leur fille a fréquenté un établissement public belge francophone ; que le père est diplomate français et que sa prochaine affectation professionnelle, en 2022, conduira la famille à un retour en France ou vers un poste à l’étranger, de sorte que selon toute probabilité leur fille sera alors logiquement scolarisée en France ou dans le réseau des Lycées Français à l’étranger et ne pourra plus suivre sa scolarité en langue polonaise ; le fait enfin que le père ne parle pas le polonais et ne pourra dès lors pas participer activement à l’éducation scolaire de sa fille et au suivi de son travail scolaire, sont tous des éléments qui étaient parfaitement connus au moment de l’inscription de l’enfant dans le système des EE et auraient théoriquement pu conduire les parents à opter, dans le formulaire d’inscription, plutôt pour la section linguistique francophone, ce qu’ils n’ont clairement pas fait. Après qu’une place au cycle maternel en section polonaise de l’EEB 1 ait été offerte par les EE à leur fille, ils n’ont pas plus contesté ce choix, ce qui le cas échéant aurait pu conduire, à ce moment-là, à l’organisation par le Directeur de l’Ecole de tests comparatifs de langues, afin de déterminer la L1 de l’élève, conformément à l’article 47 e) alinéa 5 du RGEE. L’offre des EE a donc incontestablement été acceptée par les parents en connaissance de cause.
Dès lors, la Chambre de recours ne peut que constater que c’est en toute conformité avec la réglementation en vigueur au sein du système des EE, y compris les articles applicables (2.7 e.s.) de la Politique d’inscription (PI) pour l’année scolaire 2017-2018, que la langue maternelle/dominante de [A] a été considérée comme étant le polonais au moment de l’inscription.
Par ailleurs, datant de 2017, cette décision n’est en tout cas plus susceptible de recours. Les affirmations répétées des requérants dans leur recours, que la langue dominante de leur fille est et a toujours été le français, doivent par conséquent être rejetées.
19. Selon l’article 2.15 de la PI 2017-2018, une fois que la section linguistique est déterminée dans le respect du RGEE, l’élève a vocation à poursuivre toute sa scolarité dans la même section, sauf application de l’article 47 e) derniers alinéas.
Selon l’article 47 e) du RGEE, la détermination du polonais comme L1 pour [A] est donc en principe définitive et un changement de cette L1 ne peut être autorisé que pour des motifs pédagogiques impérieux, selon les modalités prévues audit article.
A ce sujet, il importe de remarquer que la procédure prévoit dans ce cas que le Conseil de classe se penche sur un changement de L1 “à l’initiative de l’un de ses membres”, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce, la demande émanant des requérants eux-mêmes. Le fait que l’EEB 1 ait néanmoins examiné de manière attentive cette demande, en organisant même au préalable des tests de langues, démontre que l’Ecole l’a prise au sérieux et a voulu, soucieuse de l’intérêt de l’enfant, donner toutes les assurances aux requérants quant à l’épanouissement scolaire de leur fille [A].
20. C’est donc dans l’intérêt de l’enfant que le Conseil de classe a examiné, à deux reprises, si les conditions pour changer le cas échéant de L1 étaient rencontrées, car le principe fondamental d’une éducation au sein des EE est que l’enfant reçoit un enseignement dans sa langue maternelle/dominante afin qu’il puisse suivre avec fruit le programme scolaire dans une langue qu’il maîtrise suffisamment et qu’il puisse aussi maintenir ou favoriser le lien avec ses racines culturelles et linguistiques.
A la lumière de ce principe, un changement de L1 n’est possible qu’à titre exceptionnel et dans les conditions de l’article 47 e) alinéa 7, à savoir “pour des motifs pédagogiques impérieux dûment constatés par le Conseil de classe”.
Selon une jurisprudence constante de la Chambre de recours, rappelée par ailleurs par les requérants eux-mêmes, par cette formulation “motifs pédagogiques impérieux”, le RGEE exige plus que la seule existence de motifs ou d’aspects pédagogiques : les motifs doivent faire apparaître le changement de la langue comme “indispensable ou fondamentalement nécessaire au développement pédagogique de l’enfant” (voir en ce sens, entre autres, les décisions 15/47 du 15 décembre 2015, 16/14 du 1er septembre 2016, 16/48 du 14 décembre 2016 et dernièrement 19/50 du 13 janvier 2020).
La constatation de tels motifs relève de la seule compétence du Conseil de classe.
En l’espèce, le Conseil de classe a examiné le 12 juin, et à nouveau le 3 septembre 2019, la situation pédagogique et personnelle de la fille des requérants et, tout en constatant que son niveau en polonais est bon, a considéré qu’il était de l’intérêt de [A] de demeurer inscrite en L1 polonaise.
21. S’agissant d’une question d’ordre purement pédagogique, la Chambre de recours ne dispose que d’un pouvoir de contrôle marginal sur l’appréciation du Conseil de classe.
Selon la jurisprudence constante de la Chambre de recours en effet, « les appréciations du Conseil de classe portant sur les capacités des élèves ne peuvent en elles-mêmes faire l’objet d’une contestation ni devant le Secrétaire général, ni devant la Chambre de recours (…). Les conseils de classe sont les mieux placés pour apprécier les capacités des élèves et il n’appartient pas à la Chambre de recours de censurer les appréciations pédagogiques formulées par les enseignants (…). L’appréciation pédagogique appartient aux enseignants, auxquels la Chambre de recours ne peut se substituer, sauf erreur manifeste d’appréciation ou vice de procédure » (décisions 17/45R et 17/45 du 7 février 2018).
La Chambre de recours ne pourrait donc mettre en doute la conclusion du Conseil de classe du 3 septembre 2019 qu’en raison d’une erreur manifeste d’appréciation ou d’un vice de procédure.
Il ressort des pièces du dossier qu’en l’espèce aucune de ces deux raisons n’existe.
22.(...)
Il importe dans ce cadre de bien faire une distinction entre la détermination de la L1 de l’élève au moment de son inscription et le constat de l’existence de motifs pédagogiques impérieux recommandant le changement de L1 en cours de scolarité. En effet, dans le cas de l’examen d’une demande de changement de L1, il ne s’agit pas pour le Conseil de classe de déterminer à nouveau la L1 de l’enfant - celle-ci ayant été déterminée, en principe définitivement, lors de l’inscription de l’élève - mais bien de vérifier si l’élève possède la capacité à poursuivre sa scolarité avec fruit dans la langue dans laquelle il a été éduqué depuis le début de son parcours scolaire au sein des EE.
(...)
Il convient de rappeler que l’évaluation de l’aptitude de [A] à poursuive avec fruit sa scolarité dans la section linguistique polonaise repose en l’espèce sur une appréciation purement pédagogique portée par les enseignants, auxquels il n’appartient pas à la Chambre de recours de se substituer.
En s’appuyant sur les constatations du Conseil de classe, le Directeur de l’Ecole n’a donc pas commis, dans sa décision de refus de changement de L1 pour [A], une erreur manifeste d’appréciation.
23. Les différents reproches des requérants au sujet de l’organisation et du déroulement des tests linguistiques ainsi que des conclusions tirées de leurs résultats, ne sont pas non plus fondés.
En effet, ces tests ont été organisés par les EE sur une base purement volontaire en vue de l’examen par le Conseil de classe d’une demande de changement de L1 émanant des parents. Cette situation se distingue donc clairement de celle prévue à l’article 47 e) alinéa 5 du RGEE où, dans un contexte de contestation par les parents de la détermination de la L1 de l’enfant lors de son inscription, l’organisation de tests comparatifs de langues est obligatoire et réglementée.
Exiger que dans le cas d’une “demande de changement de L1 par les parents” des tests de langues soient organisés d’office, dans les mêmes conditions et avec le même objectif que les tests prévus à l’article 47 e) alinéa 5, reviendrait par ailleurs à prolonger de facto le délai de recours contre la détermination de la L1 au-delà de ce qui est prévu par la réglementation.
En l’espèce, le seul but des tests organisés par l’EEB 1 a été de fournir au Conseil de classe des éléments d’information supplémentaires quant à la situation pédagogique et linguistique de l’élève, afin de pouvoir se prononcer au mieux sur l’existence éventuelle de motifs pédagogiques impérieux recommandant un changement de section linguistique, et par conséquent de L1.
Dans un tel contexte et avec un tel objectif spécifique, la conduite des tests est laissée à l’appréciation de l’école, qui dispose donc de l’autonomie pour les organiser concrètement, en vue de se faire une opinion sur les capacités de l’élève. Il en va de même pour le caractère comparatif de ces tests et les méthodes utilisées, qui ne doivent pas nécessairement être identiques pour autant que leurs résultats permettent au Conseil de classe de juger de manière objective et selon des standards mesurables et comparables, s’il existe une raison indispensable ou fondamentalement nécessaire au développement pédagogique de l’enfant pour qu’il quitte la section linguistique dans laquelle il a suivi son enseignement pendant les années précédentes.
(...)
Il ressort de tout ce qui précède que les différents arguments avancés par les requérants contre l’organisation, le déroulement et les résultats des tests linguistiques sont inopérants pour remettre en cause la légalité de la décision attaquée. En effet, ces arguments visent tous des prétendus manquements d’appréciation ou de forme en supposant que la finalité de ces tests était de déterminer à nouveau la L1 de l’élève, quod non. En l’espèce, il s’agit purement d’une situation dans laquelle les EE devaient examiner l’opportunité, voire la nécessité de changer la section linguistique et donc la L1 de l’enfant, suite à l’existence éventuelle de motifs pédagogiques impérieux à ce faire. Les requérants n’exposent pas en quoi la décision attaquée, basée sur les constatations du Conseil de classe, éclairé entre autres par ces tests, serait manifestement erronée, ou quel vice de procédure l’aurait entachée.
La production par les requérants de résultats de tests linguistiques réalisés par des logopèdes en dehors de l’école, visant à nouveau de manière erronée à démontrer que la L1 de l’élève ne serait pas le polonais, mais plutôt le français, ne peuvent davantage remettre en question la légalité de la décision attaquée. Tout d’abord, ces pièces sont postérieures à la décision litigieuse, laquelle doit normalement s’apprécier au moment de son adoption. Ensuite, l’appréciation de personnes tierces ne peut se substituer à celle du Directeur de l’École, seul compétent selon le RGEE pour constater l’existence de motifs pédagogiques impérieux suite à l’avis du Conseil de classe.
24.(...)
b) Le moyen des requérants pris de la violation du principe d’égalité de traitement et de non-discrimination en ce que leur fille serait traitée différemment de son frère, pour lequel un changement de section linguistique a bien été accordé en 2013, est également dépourvu de fondement.
En effet, il ressort de la jurisprudence de la Chambre de recours, citée aussi bien par les requérants que par les EE, que le principe d’égalité de traitement veut que les situations comparables ne soient pas traitées de manière différente “à moins qu’une différenciation ne soit objectivement justifiée” (cf. la décision 15-51 du 16 janvier 2016).
A ce sujet, il convient de rappeler que la Chambre de recours a déjà considéré que “la décision sur la section linguistique implique un examen au cas par cas, ce qui peut justifier des résultats différents” et cela indépendamment du fait que des enfants issus d’une même fratrie évoluent dans un environnement familial similaire. Il en va de même pour le constat de l’existence éventuelle de motifs pédagogiques impérieux autorisant un changement de L1. Un tel constat est directement lié au parcours scolaire et au niveau des compétences linguistiques de l’élève. Il doit être fondé sur une appréciation pédagogique de chaque élève, qui peut donc varier, même entre enfants d’une même fratrie.
Dans le même sens, l’on peut rappeler que, selon la jurisprudence de la Chambre de recours, “les Ecoles européennes doivent tenir compte de l’intérêt supérieur de chaque élève, y compris de son développement académique, en veillant qu’il soit éduqué dans une langue qu’il maîtrise suffisamment pour pouvoir suivre les programmes scolaires avec fruit. Ainsi, on peut avoir dans une même fratrie des enfants scolarisés dans des sections linguistiques différentes, en raison de leurs situations et parcours pédagogiques objectivement différents” (voir à ce sujet les décisions 18/27 du 20 août 2018 et 19/51 du 24 octobre 2019).
Le seul fait que le fils des requérants ait été autorisé en 2013 à changer de section linguistique, alors qu’un tel changement n’a maintenant pas été accordé à sa sœur, ne peut invalider la décision attaquée pour motif d’une violation du principe d’égalité de traitement, vu que de telles décisions sont prises au cas par cas.
c) Enfin, le moyen soulevé par les requérants à titre subsidiaire et pris de l’illégalité de l’article 47 e) du RGEE en ce qu’il fixerait de manière définitive la L1 de l’élève pour toute sa scolarité et serait ainsi contraire au droit à l’éducation tel que consacré par l’article 14 §3 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ne peut non plus être regardé comme fondé.
Ce moyen - lequel est, à la lumière de la jurisprudence de la Chambre de recours au sujet de sa compétence d’annulation de normes à portée générale ou réglementaire, seulement recevable dans la mesure où il poursuit l’annulation de la décision attaquée par voie d’exception - donne une interprétation inexacte de l’article 47 e) du RGEE. En effet, cet article stipule bien que la détermination de la L1 au moment de l’inscription est définitive, mais précise qu’il s’agit d’un caractère définitif “en principe” et prévoit en son
7ème alinéa une dérogation audit principe qui consiste précisément à pouvoir, sous certaines conditions et selon une procédure particulière, changer de L1.
Ainsi, cet article 47 e) et les principes qu’il contient, tel le principe de l’enseignement de la langue maternelle/dominante en tant que L1 et celui de déterminer cette L1 de manière définitive au moment de l’inscription, tout en prévoyant la possibilité d’y déroger, ne peut être considéré comme contraire au droit à l’éducation, puisqu’il ne prive pas l’enfant de ce droit, ni les parents du droit d’assurer l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions.
25. De tout ce qui précède, et à défaut pour les requérants d’établir une erreur manifeste d’appréciation dans le chef du Conseil de classe et ensuite du Directeur de l’École, ou un vice de procédure, il faut conclure que ce dernier ne pouvait que refuser la demande de changement de section linguistique pour leur fille, en l’absence de motifs pédagogiques impérieux identifiés par l’équipe enseignante.
Il s’ensuit que le recours dirigé contre la décision du SG des EE du 18 octobre 2019, ayant admis la légalité de la décision du 3 septembre 2019 du Directeur de l’EEB 1, doit être rejeté.