Abstract
Sur la recevabilité ratione materiae du recours,
15. La Chambre de recours, dans sa décision du 22 juillet 2010 rendue en formation plénière dans l’affaire 10/02, a estimé qu’il y avait lieu de déterminer la portée exacte de la décision attaquée et de vérifier si l’incompétence de la Chambre de recours alléguée par la partie défenderesse, pour annuler cette décision en raison de l’absence de voies de recours prévues par les textes d’application de la Convention portant statut des écoles européennes serait de nature à porter atteinte au principe du droit à recours effectif.
Le droit à une protection juridictionnelle effective est, en effet, reconnu par la Convention portant statut des écoles européennes, dont le quatrième considérant mentionne « qu’il convient d’assurer une protection juridictionnelle adéquate contre les actes du Conseil supérieur ou des conseils d’administration au personnel enseignant ainsi qu’à d’autres personnes visées par la convention ». Il figure d’ailleurs au nombre des droits fondamentaux reconnus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (voir son article 13), ainsi qu’au nombre des principes généraux du droit de l’Union européenne (voir, par exemple, l’arrêt de grande chambre de la Cour de justice du 13 mars 2007, Unibet, C-432/05, Rec. I-2271, point 73).
Ainsi, la Chambre de recours a jugé que, lorsqu’une décision du Conseil supérieur, même si elle revêt une portée générale ou réglementaire, affecte directement un droit ou une prérogative que la Convention précitée reconnaît à une personne ou à une catégorie de personnes clairement identifiée et qui se distingue de l’ensemble des autres personnes concernées, sans qu’il soit certain que ladite personne ou catégorie soit en mesure de former un recours contre une décision individuelle prise sur le fondement d’une telle décision, celle-ci doit être regardée comme constitutive d’un acte faisant grief à cette personne ou à cette catégorie au sens de l’article 27, paragraphe 2, de la Convention. La Chambre de recours est, dès lors, en principe, compétente pour statuer sur un recours formé contre un tel acte.
En l’espèce, l’exception d’incompétence opposée au présent recours par les Écoles européennes doit être écartée dès lors que le recours a pour objet le droit d'être inscrit aux cours d’ONL irlandaise, droit qui nait lors de l'inscription aux Ecoles européennes et qui est, de ce fait, susceptible d'un recours administratif et, le cas échéant contentieux en vertu des article 50 bis, 66 et 67 du Règlement général des Ecoles européennes, dans les conditions qui y sont prévues, applicables par analogie.
Par conséquent, la Chambre de recours considère le présent recours comme étant recevable ratione materiae.
Sur le fond,
18. Se pose alors la question de l’opposabilité de ces nouvelles règles et conditions d’accès aux cours d’ONL irlandaise à l’égard des élèves, comme [A] et [B], qui suivaient les cours auparavant sans être inscrits dans la section anglophone.
19. Par ailleurs, la Chambre de recours ne peut suivre la position défendue par les Écoles européennes lorsqu’elles prétendent que les filles de la requérante n’ont jamais eu un droit subjectif à suivre les cours d’ONL irlandaise, mais qu’elles n’ont pu les suivre que de façon informelle, par simple tolérance.
En 2012, la Direction de l’Ecole s’était montrée hésitante à ouvrir les cours d’ONL irlandaise aux élèves des autres sections que la section anglaise, mais la requérante a, à bon droit, contesté cette approche dès lors que le texte réglementaire en vigueur alors (« document 33 version 2011) n’indiquait aucunement que l’accès au cours d’ONL irlandaise était réservé aux élèves inscrits en section anglophone.
Les filles de la requérante puisent en effet bien leur droit aux cours d’ONL irlandaise dans le « document 33 version 2011 ».
Elles ont ensuite continué à suivre ces cours, nonobstant la modification des conditions d’accès entrée en vigueur en 2014, ce qui permet de considérer que la condition nouvelle (une inscription en section anglophone) ne s’appliquait pas aux élèves, comme [A] et [B], qui suivaient les cours auparavant sans être inscrits dans la section anglophone.
Et ce d’autant plus que le « document 33 version 2014 » ne prévoyait aucune mesure transitoire pour ces mêmes élèves.
20. Enfin, il faut relever que les réserves émises par les Ecoles européennes se rapportent aux contraintes logistiques liées à la fixation des horaires.
Ce n’est que lorsque les horaires de [A] n’ont plus permis qu’elle poursuive les cours d’ONL irlandaise (soit quand elle est entrée en S3, année scolaire 2017-2018) que les Ecoles européennes ont opposé l’argument tiré de l’inscription en section francophone.
Mais les contraintes logistiques, aussi lourdes soient-elles, ne peuvent faire obstacle à l’exercice d’un droit que les filles de la requérante puisent dans le « document 33 version 2011 » et au principe de continuité pédagogique.
21. Certes, la Chambre de recours a estimé dans sa décision du 10 décembre 2012 (recours 12/60 ») que le champ d’application du principe de confiance légitime « ne saurait être étendu jusqu’à empêcher, de façon générale, une réglementation nouvelle de s’appliquer aux effets futurs de situations nées sous l’empire de la réglementation antérieure (arrêts de la Cour du 20 septembre 1988, Espagne/Conseil, 203/86, Rec. p. 4563, point 19 ; du 29 juin 1999, Butterfly Music, C 60/98, Rec. p. I 3939, point 25, et du 29 janvier 2002, Pokrzeptowicz-Meyer, C 162/00, Rec. p. I 1049, point 55). ».
Mais force est de constater en l’espèce que l’absence de notification individuelle, l’absence de mesure transitoire lors de l’adoption des nouvelles règles en 2014, le comportement subséquent adopté par l’Ecole - qui a permis aux filles de la requérante de poursuivre les cours d’ONL irlandaise à l’école comme avant l’entrée en vigueur des nouvelles conditions d’accès – et les réserves liées aux contraintes logistiques d’horaire permettent de conclure que la condition d’inscription en section anglophone n’a jamais été applicable à la situation des filles de la requérante.
22. Il ressort de tout ce qui précède que la décision litigieuse doit être annulée, avec pour conséquence que [A] et [B] doivent pouvoir poursuivre les cours d’ONL irlandaise à l’Ecole européenne de Bruxelles I jusqu’à la 7ème année du cycle secondaire.
Compte tenu de la date à laquelle intervient la présente décision et de la déclaration de la requérante lors de l’audience, il peut être précisé que les effets de la présente décision sortiront à la prochaine rentrée scolaire (2018-2019), pour cette année et les suivantes.