Abstract
La présente décision concerne les recours enregistrés sous les n° 12/40 et 12/41.
Sur le fond
13. Bien que recevable, le recours est toutefois non fondé. Aucun motif en droit ne permet aux requérantes de prétendre à une rémunération plus élevée par application du Statut applicable au personnel détaché engagé avant le 1.9.2011.
14. Selon les dispositions du Statut, la mise à disposition du personnel d’enseignement détaché relève des autorités nationales (articles 1er, 4 et 49 du Statut, cf. la décision de la Chambre de recours du 28.6.2012, recours nº 12/08). La rémunération du personnel détaché est régie par les articles 45 et suivants du Statut. Selon l’article 49.1, « le membre du personnel a droit au traitement afférent à sa fonction et à son échelon dans le barème de cette fonction, tel que fixé à l’annexe IV du présent Statut ». Selon l’article 49.2, « les autorités nationales compétentes versent les émoluments nationaux au membre du personnel et communiquent au Directeur de l’école les montants versés, en précisant tous les éléments pris en compte pour le calcul, y compris les retenues sociales obligatoires et les impôts. L’EE verse la différence entre d’une part la rémunération prévue par le présent Statut et d’autre part la contre-valeur de l’ensemble des émoluments nationaux diminué des retenues sociales obligatoires ».
15. L’application faite en l’espèce par les Ecoles européennes des dispositions du Statut est correcte. Le calcul de la rémunération des requérantes est conforme à l’annexe IV du Statut. Il ne peut y avoir de litige entre les parties à cet égard.
16. Contrairement à l’avis des requérantes, les règles régissant la rémunération applicables à dater du 1.9.2011 ne sont pas illégales.
17. Les nouvelles dispositions relatives aux rémunérations ne constituent pas une violation du principe de non-discrimination applicable dans le droit de l’Union.
18. En particulier, ces règles ne sont le reflet d’aucun cas de discrimination répertorié dans le droit de l’Union. Il ne peut être relevé aucune violation du principe d’égalité entre hommes et femmes eu égard aux conditions de travail (cf. par exemple la directive 76/207/CEE du Conseil du 9 février 1976 et récemment l’article 157 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne) ni du principe d’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et féminins (cf. directive 75/1975/CEE du Conseil du 10 février 1975) ; de même, aucune violation ne peut être relevée au titre d’une discrimination fondée par exemple sur la religion, le handicap, l’âge, l’orientation sexuelle ou la race et l’origine ethnique (directives 2000/78/CE et 200/43/CE du Conseil respectivement du 27 novembre 2000 et du 29 juin 2000). Des discriminations de cette nature ne sont d’ailleurs pas évoquées par les requérantes.
19. Il n’y a pas non plus en l’espèce de violation du principe d’égalité de traitement.
20. Il est généralement admis qu’il y a violation du principe d’égalité de traitement — applicable au droit de la fonction publique communautaire et de ses institutions — lorsque deux catégories de personnes dont les situations factuelles et juridiques ne présentent pas de différence essentielle se voient appliquer un traitement différent lors de leur recrutement et qu’une telle différence de traitement n’est pas objectivement justifiée (arrêts de la Cour (CJUE) du 11.1.2001, affaire C-459/98 P – Rec. 2001, I-135, point 50 (Martinez del Peral Cagigal); du 22.11.2008 – C 443/07 P – Rec. 2008, I-10945, point 76 (Centeno Mediavilla); du 4.3.2010 – C 496/08 P – point 99 (Pilar Angé Serrano et autres)). De même, il est également de principe que le législateur est tenu, lors de l’adoption de dispositions et de règles applicables notamment en matière de fonction publique communautaire, au respect du principe général d’égalité de traitement (arrêts de la Cour (CJUE) dans les affaires précitées Centeno Mediavilla (point 78) et Pilar Angé Serrano (point 100)).
21. Dans le cadre de la réforme du droit de la fonction publique et des traitements, le législateur européen dispose d’un large pouvoir d’appréciation ; il est tenu dans ce cadre de prendre des mesures admissibles en droit et, en tout état de cause, d’en rendre compte sur le plan politique (arrêt de la Cour (CJUE) dans l’affaire Pilar Angé Serrano, point 86). Ce large pouvoir d’appréciation permet au législateur européen de procéder à des modifications substantielles des règles relatives à la rémunération et à la structure des barèmes ainsi qu’au montant des traitements, même lorsque les effets de telles modifications emportent une détérioration du régime applicable au personnel concerné. Le législateur ne saurait être tenu par une obligation de maintien d’un statut donné. Les droits et les obligations des fonctionnaires peuvent, moyennant le respect des exigences découlant du droit communautaire, être modifiés à tout moment par le législateur (arrêts de la Cour (CJUE) dans les affaires Centeno Mediavilla, point 60 et Pilar Angé Serrano, point 82). L’action du législateur ne saurait être restreinte que pour les situations nées et définitivement réalisées sous l’emprise de la règle précédente dont les agents pourraient en tirer un droit acquis (arrêts de la Cour (CJUE) dans les affaires Centeno Mediavilla, point 62 et Pilar Angé Serrano, point 84).
22. Au vu de ces principes, aucune violation du principe d’égalité de traitement n’est relevée en l’espèce.
23. Le fait générateur de la modification appliquée à dater de la rentrée scolaire 2011 aux structures du barème et de la rémunération des enseignants détachés auprès des Ecoles européennes est lié à la modernisation et à la réforme de la fonction publique de l’Union européenne et de ses institutions. En vertu des pouvoirs dont il est investi pour édicter des dispositions règlementaires et du large pouvoir d’appréciation dont il dispose pour ce faire, le Conseil supérieur pouvait réformer les structures de rémunération du personnel détaché et les ajuster aux conditions statutaires révisées des fonctionnaires et autres agents de l’Union européenne. Il pouvait également prendre des dispositions ayant pour effet une diminution sensible des traitements pour l’entrée en service du personnel détaché à dater du 1.9.2011.
24. Les modifications apportées aux structures de classement, de barème et de rémunération, entraînant une diminution des rémunérations à l’entrée en service pour les enseignants détachés à dater du 1.9.2011, ne constituent pas non plus une violation du principe d’égalité de traitement par rapport au maintien de meilleures conditions de classement et de barème pratiquées jusqu’alors pour les enseignants détachés à une date antérieure. La date de référence choisie par le Conseil supérieur (1.9.2011) et définie objectivement (la nouvelle rentrée scolaire) a eu pour effet de créer deux groupes d’enseignants détachés auprès des Ecoles européennes, dont les bases de calcul des rémunérations sont différentes, même si les conditions essentielles de travail et d’enseignement des enseignants des deux groupes sont comparables. Il n’en reste pas moins une différence fondamentale en ce que, pour les enseignants détachés engagés avant le 1.9.2011, les règles relatives aux bases de calcul des rémunérations sont en vigueur depuis longtemps déjà. Pour les enseignants détachés engagés à partir du 1.9.2011, le nouveau Statut, et donc le classement dans le barème et le régime des rémunérations, a été applicable immédiatement, dès qu’il a été porté à leur connaissance et préalablement à leur détachement, et constitue donc les conditions de base de leur détachement. Contrairement aux enseignants détachés avant le 1.9.2011, les enseignants nouvellement détachés ont accepté le détachement en ayant connaissance des nouvelles structures de barèmes et du nouveau régime de rémunération, sur lesquelles ils pouvaient se baser. Il leur était donc possible, après avoir pris connaissance de ce nouveau Statut fixant des conditions moins favorables, de refuser leur détachement, voire de se désister (NB : dans l’affaire 12/08, la Chambre de recours a constaté que le requérant n’avait pas eu connaissance du nouveau Statut avant le début de son détachement, ce qui l’a amenée à prendre une décision différente que dans le cas d’espèce - décision du 28 juin 2012).
25. Il n’y a pas lieu d’examiner la question de savoir si la nouvelle situation juridique distinguant les deux groupes de personnes constituerait ou non une différence essentielle au sens de la jurisprudence précitée à propos du principe d’égalité de traitement. En l’espèce, le traitement différent de ces deux groupes de personnes est basé sur un critère objectif suffisant. Le Conseil supérieur était en droit de maintenir et de garantir aux enseignants détachés avant le 1.9.2011 le classement dans le barème et le régime des rémunérations qui leur étaient appliqués jusqu’alors. Ce maintien entre dans le cadre du large pouvoir d’appréciation du législateur européen et est conforme aux principes fondateurs d’un État de droit. Les requérantes font valoir à juste titre que, selon la jurisprudence de la CJUE, les agents ne sauraient se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime et des « droits acquis » pour s’opposer à des mesures modifiant et détériorant le régime des agents quand le législateur use de son large pouvoir d’appréciation (cf. arrêt de la Cour (CJUE) sur l’affaire Pilar Angé Serrano, points 86 et 93). Il ne peut néanmoins en être déduit une obligation — considérée comme allant de soi par les requérantes — dans le chef du législateur d’appliquer également aux enseignants détachés auprès des Ecoles européennes avant le 1.9.2011 les nouvelles règles de classement dans le barème et du régime des rémunérations. Au contraire, rien n’interdit au législateur de décider - à tout le moins pendant une période définie - de protéger la confiance légitime des personnes concernées par le système de rémunération appliqué jusqu’alors et de continuer à appliquer les anciennes conditions de rémunération à ces personnes, qui ont basé et adapté leurs conditions de vie sur base d’un régime pécuniaire qui leur a été appliqué depuis le début de leur détachement. Selon la jurisprudence de la CJUE, le législateur peut décider de protéger la confiance légitime, mais il n’y est pas tenu. S’il décide de protéger la confiance légitime du personnel déjà en place — comme c’est le cas en l’espèce — cette décision relève de son pouvoir d’appréciation et sera retenue comme critère objectif justifiant une différence dans les faits.
26. Dès lors, il ne peut être argumenté que le législateur aurait pu trouver une autre solution, moins pénalisante, comme les requérantes l’ont fait valoir au cours de l’audience publique. Une telle alternative relèverait, en toute hypothèse, du large pouvoir d’appréciation du législateur lorsqu’il prend des décisions règlementaires en cette matière. Il lui appartient de décider et de fixer les conditions d’un nouveau système de classement dans le barème, respectueux du droit, la façon dont les coûts seront répartis relevant du domaine politique et budgétaire. Sur le plan politique, une large marge d’appréciation lui est reconnue que seules des mesures, qui se révéleraient manifestement partiales, pourraient remettre en question. Que ses décisions aient une pertinence sur le plan politique ou non, c’est une question à laquelle le législateur doit rendre compte au niveau politique. S’agissant d’une décision de cette nature, le législateur pouvait s’appuyer sur le contexte financier et budgétaire pour expliquer les nouvelles conditions d’engagement des enseignants détachés auprès des Ecoles européennes. Il pouvait et était en droit de considérer que, dans un modèle comme celui développé par les requérantes, des réductions régulières, étalées d’une année sur l’autre à tous les enseignants détachés, ne pouvaient provoquer que des frustrations et des conflits permanents.
27. Les nouvelles règles de classement dans le barème et de rémunération ne sont pas non plus disproportionnées.
28. Elles visent une adaptation du régime des enseignants détachés auprès des Ecoles européennes conforme au régime des fonctionnaires et agents de l’Union européenne et conforme au contexte budgétaire.
29. Elles sont également pertinentes et ne démontrent aucune disproportion. Selon l’article 49 du Statut, les enseignants détachés engagés à dater du 1.9.2011 reçoivent un traitement qui est déterminé selon la fonction et l’échelon de chacun et constitue une contrepartie pour le service fourni. Les requérantes n’ont pas fait valoir le fait que cette rémunération ne serait plus rattachée à la fonction. Elles ont seulement fait valoir l’écart entre leur rémunération et celles des enseignants détachés engagés avant le 1.9.2011 et elles ont mis en avant un « aspect dévalorisant ». En outre, les autres dispositions de l’article 49 du Statut montrent que la rétribution reste encore liée à la fonction. Les enseignants détachés perçoivent au moins les émoluments nationaux tels qu’ils sont fixés dans leur pays d’origine. Le traitement des enseignants détachés par l’Allemagne correspond à la rétribution prévue pour la fonction et le service conformément au principe traditionnel prévu à l’article 33, paragraphe 5, de la Loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne. Une violation du principe de proportionnalité n’est pas constatée en l’espèce.