Abstract
Appréciation de la Chambre de recours
(...)
Sur le fond,
10. Il convient de rappeler que le (re)groupement de fratrie est un principe qui s’applique aux EE de Bruxelles depuis la création de l’ACI en 2006 ; comme la Chambre l’a rappelé dans sa décision 07/06 du 1er août 2007, « … la création d’une Autorité Centrale des Inscriptions pour les Ecoles européennes de Bruxelles fut décidée par le Conseil Supérieur lors de ses réunions des 23, 24 et 25 octobre 2006 qui lui assigna les fonctions suivantes: 1) élaborer et publier chaque année une politique claire en matière d’inscriptions pour atteindre les objectifs poursuivis avec toute l’équité et la transparence possible ; 2) fixer la liste des élèves à inscrire dans chacune des Ecoles européenne de Bruxelles, sur proposition de leurs directeurs ; 3) veiller à l’équilibre dans la répartition globale de la population, tant entre les écoles qu’entre les sections linguistiques et garantir l’utilisation optimale des ressources des écoles pour satisfaire les besoins des élèves et assurer la continuité pédagogique ; 4) veiller à ce que tous les élèves de la catégorie I qui demandent leur inscription aient une place dans une Ecole de Bruxelles ; 5) garantir la scolarisation des fratries dans la même Ecole et 6) assurer le suivi permanent de l’évolution de la population scolaire dans les diverses sections linguistiques des Ecoles ( document 2.006-D-165-fr-7)…”.
A son origine, ce principe se formulait (plutôt qu’un droit des élèves ou des familles) “…comme un engagement de caractère fondamental, de la part des Ecoles, qui doivent garantir pareille possibilité ; c’est ainsi que l’on déduit tant des documents mentionnés ci-dessus que de l’«Addendum explicatif de la politique d’inscription dans les Ecoles européennes de Bruxelles pour l’année scolaire 2007/08” (2007-D-162-fr-5) qui le mentionne parmi les principes généraux et le répète à d’autres endroits du texte ; ce principe répond à l’intérêt des familles, de même qu’à celui de l’Autorité Centrale des inscriptions, de satisfaire les demandes d’admission des élèves de catégorie I dans l’Ecole de leur choix, pour autant que celui-ci soit compatible avec la réalisation des objectifs que le Conseil Supérieur a assigné à ladite Autorité, qui doit traiter les cas individuels dans un esprit d\'équité et de justice (Addendum part. V)” (décision 07/06, citée).
Les Politiques d’inscription des années suivantes le mentionnent aussi et il est devenu, pour la Chambre, un principe fondamental de la Politique d’inscription (décisions 11/14 du 1er août 2011 et 15/23 du 24 août 2015), dont la méconnaissance ou l’application erronée peut affecter des droits subjectifs des personnes concernées et entacher d’illégalité l’acte individuel, sans pour autant constituer un droit fondamental des personnes concernées. La Chambre a annulé, à quelques occasions, des actes individuels via l’exception d’illégalité de la disposition pertinente de la PI de l’année concernée ou, après avoir considéré que la disposition n’était pas contraire aux conditions légales, a annulé la décision attaquée en raison d’une application erronée de la disposition.
Plus récemment, la Chambre a également précisé la portée du principe et les conséquences sur les décisions des Ecoles, en relevant l’importance du principe de proportionnalité. Dans la décision 23/11 du 31 août 2023, elle a ainsi précisé que “…pendant la dernière décennie, à plusieurs reprises, des modifications ont été apportées aux dispositions de la PI, soumettant le principe du regroupement de fratries à un certain nombre de conditions ou même en limitant son application en tant que critère de priorité. Ainsi qu’il ressortait des lignes directrices pertinentes, arrêtées annuellement par le Conseil supérieur, ces modifications ont à chaque fois été jugées nécessaires en raison de la surpopulation croissante des Ecoles européennes à Bruxelles. A ce sujet, la Chambre de recours a néanmoins souligné par le passé que, “s’il est loisible à l’autorité concernée, s’agissant d’un principe qu’elle a elle-même introduit dans les règles de droit relevant de sa compétence, d’en modifier la portée ou même de l’abandonner, encore faut-il qu’une telle mesure n’apparaisse pas disproportionnée au regard de l’équilibre recherché entre, d’une part, l’intérêt des élèves et de leur famille et, d’autre part, celui de l’organisation et de la gestion des écoles européennes” (cf. décision de la Chambre de recours n°15/23 du 24 août 2015, point 16).”.
(…)
Dès lors, il y a lieu de prendre en compte les circonstances concrètes qui se présentent ensemble dans chaque cas pour adopter la solution qui soit la plus adéquate, en se devant de procéder à une évaluation pondérée des intérêts en conflit, celui de la famille, d’une part et la gestion des écoles, d’autre part. En l’espèce, il faudra donc mettre en balance les avantages de l’article 8.2.3 de l’actuelle PI avec les désavantages significatifs qu’il entraîne pour les requérants” car, poursuit la Chambre “Le principe de proportionnalité, communément admis tant dans l’ordre juridique communautaire que dans celui des Etats membres, doit en effet servir de référence en particulier lorsqu’il s’agit d’une décision prise dans un cadre d’application modifié d’un principe aussi fondamental que celui du regroupement des fratries. Et de conclure que “La Chambre admet dès lors, à la lumière des critères qu’elle a fixés dans sa jurisprudence, que la dérogation, modulée et bien délimitée, au principe du regroupement de fratries, telle que formulée notamment à l’article 8.2.3 de la PI actuelle, est suffisamment précise et conditionnée et ne va pas au-delà de ce qui est indispensable pour atteindre l’objectif d’intérêt général. La règle sur laquelle est fondée la décision de l’ACI du 5 mai 2023 ne doit donc pas être considérée comme entachée d’une illégalité”.
Les décisions 24/36, 24/08 et 24/33 du 26-08-2024 vont toutes dans le même sens.
11. Il ressort ainsi de ces décisions que :
- le groupement de fratrie est un principe fondamental de la Politique d’inscription dans les EE de Bruxelles.
- l’ACI doit en assurer une application effective via les Politiques annuelles, mais tout en prenant en considération les autres objectifs, notamment celui de la répartition équilibrée de la population scolaire, “tant entre les écoles qu’entre les sections linguistiques et garantir l’utilisation optimale des ressources des écoles pour satisfaire les besoins des élèves et assurer la continuité pédagogique”.
- des aménagements peuvent être apportés à ce principe, quant à sa portée et son application, pour tenir compte de la situation des EE de Bruxelles qui évolue chaque année, mais ces changements doivent respecter en tout cas le caractère fondamental de ce principe ; ils doivent être suffisamment motivés et les personnes concernées doivent en être informées à l’avance.
- en particulier, les éventuelles restrictions au principe et les conditions de son exercice doivent être proportionnées et ne pas altérer l’équilibre entre l’intérêt des élèves et de leur famille d’une part et les intérêts des EE liés à leur organisation et à leur gestion d’autre part.
- les cas individuels doivent être traités dans un esprit d’équité et de justice.
12. Dans le cas d’espèce, les Lignes directrices pour l’année scolaire 2025-2026 ont été adoptées par le Conseil supérieur du 3, 4 et 5 décembre 2024 (réf. 2024-12-D-13-fr-1) et appliquées dans la PI pour la même année (réf. 2024 12-D-14-fr-2).
Les requérants ont demandé l’inscription conjointe de leurs deux enfants et n’ont invoqué aucune circonstance particulière de priorité qui aurait pu donner lieu à l’application des règles du point 8.5 de la PI. Les raisons exposées dans leur requête sont plutôt de nature à justifier des demandes d’inscription conjointes, fondée exclusivement sur le groupement de la fratrie, et non pas à justifier de l’application d’un critère quelconque de priorité du point 8 de la PI autre que le groupement de fratrie.
Ils ne contestent pas les faits exposés par les EE, ni les problèmes de surpopulation dans les EE de Bruxelles, ni les difficultés engendrées par la pluralité des sections linguistiques, l’absence d’une infrastructure adaptée pour pouvoir accueillir, dans les meilleures conditions, un nombre toujours croissant d’année en année, d’élèves qui peuvent s’inscrire aux EE conformément à la Convention portant Statut des Ecoles européennes, et pour pouvoir accomplir ainsi sa mission qui est “… l\'éducation en commun des enfants du personnel des Communautés européennes” (article 1 de la Convention).
Leur requête repose sur l’impossibilité de respecter le principe du groupement dans leur cas du fait qu’il n’existe qu’une section linguistique EL pour le cycle secondaire, à l’EEB3, où doit nécessairement être inscrite leur fille aînée, et que la demande d’inscription en primaire pour leur fille cadette est subordonnée à l’existence de places disponibles dans le niveau requis, ici en classe de P5, classe qui avait déjà atteint le seuil de 30 élèves au-delà duquel elle aurait dû être dédoublée pour accueillir un élève de plus.
La question posée est donc de savoir si, en l’espèce, la décision de ne pas appliquer le principe du groupement, faute de places disponibles et sans dédoubler la classe de P5 à l’EEB3, est ou non proportionnée, dans un contexte où les dispositions de la PI prévoient la nécessité d’atteindre un objectif de répartition des élèves, toujours plus nombreux dans les EE de Bruxelles, dans les différentes écoles et sites et où, plus concrètement, certaines dispositions de la PI impactent surtout les sections linguistiques uniques, telle que la section linguistique EL qui n’existe qu’à l’EEB3 pour le cycle secondaire.
13. Les requérants invoquent l’article 5.3 de la PI selon lequel :
« Lorsque le traitement conjoint des demandes est sollicité, selon les modalités visées aux articles 2.45. à 2.47., les enfants sont inscrits dans la (le) même école/site mais pas nécessairement celle (celui) de la première préférence, et pour autant qu’il existe dans un(e) des six écoles/sites une place disponible, voire à pourvoir, à attribuer à chacun des enfants de la fratrie. A défaut, la demande est traitée comme celle d’un élève seul ».
Ils ne contestent pas que le seuil de 30 élèves était atteint dans la classe de P5, mais ils considèrent que le principe du groupement de fratrie exigeait le dédoublement de cette classe afin de permettre l’admission de leur fille cadette dans la même école que sa soeur en faisant fi de la condition de l’existence d’une « place disponible à pourvoir » requise par cet article 5.3. : selon eux, le principe du groupement de fratrie doit l’emporter sur cette dernière disposition.
Les Ecoles expliquent toutefois que ce dédoublement de la classe P5 n’était pas possible pour les raisons suivantes: 1) la surpopulation à l’EEB3 est de 26%; 2) la création d\'une classe primaire supplémentaire à l\'EEB3 du fait d’un seul élève conduirait très probablement à la création de cinq nouvelles classes au cycle primaire au plus tard à la fin de l\'année scolaire 2026/27 ; 3) la section EL n’existant que dans cette seule école pour le niveau secondaire, il est nécessaire d’y maintenir une seule classe de maternelle et une seule classe par niveau du cycle primaire EL afin de pouvoir accueillir ensuite l’ensemble de ces élèves au cycle secondaire.
Dans ces conditions, il faut constater que la décision contestée est proportionnée et conforme aux règles de la Politique d’inscription, prises en conformité avec les Lignes directrices arrêtées par le Conseil supérieur, au sein duquel des débats sur ce point ont eu lieu (voir réunion du CS du 3, 4 et 5 décembre 2024, Réf. : 2024-12-D-8-fr-2).
Les efforts du Conseil supérieur pour faire face à la surpopulation des EE de Bruxelles et à l’insuffisance de bâtiments disponibles, prennent place dans un contexte de plus en plus compliqué ; en effet, les EE de Bruxelles sont confrontées, depuis des années, à un manque d’infrastructures et à une augmentation du nombre des élèves, qui se produit de façon asymétrique entre cycles et sections linguistiques toujours plus nombreuses, cette situation ayant abouti à une surpopulation généralisée dans tout le système des EE, et alors qu’il importe de concilier ces contraintes actuelles avec leurs conséquences à prévoir dans le futur, jusqu’à l’ouverture de l’EEB5 prévue en 2030 et qui devrait permettre une meilleure répartition de la population scolaire.
Il faut souligner encore que les changements qui conduisent à des restrictions ou des conditions nouvelles reflétées dans la PI arrêtée chaque année doivent être soigneusement motivés pour permettre aux parents de connaître les raisons de tels changements, même s’ils sont en désaccord.
Les requérants font valoir qu’ils viennent de s’installer à Bruxelles et n’ont pas une connaissance suffisamment approfondie du système des EE leur permettant de proposer une alternative au dédoublement de classe.
Ils sont en effet fondés à considérer que trouver une solution aux problèmes dérivés du surpeuplement incombe aux seules Ecoles européennes, et non pas aux familles.
Cela ne signifie cependant pas que les EE ont un pouvoir illimité pour ce faire car leur pouvoir discrétionnaire est fortement limité par ces contraintes matérielles, ainsi que par le respect des principes que doivent observer les EE, comme l’organisation pédagogique, énoncés à l’article 4 de la Convention. L’allégation sur l’ampleur du pouvoir des EE pour décider du dédoublement ou non d’une classe doit être appréciée à l’aune des différentes contraintes et principes opposables.
En l’espèce, comme l’expliquent les EE, un dédoublement de la classe P5 à l’EEB3 aurait entraîné des conséquences difficiles à gérer et des répercussions sur l’ensemble de la population scolaire. La pression démographique étant particulièrement importante dans cette école, il est impératif de diminuer ou de ne pas augmenter le nombre de classes dans les cycles maternel et primaire afin de libérer de la place pour les élèves du cycle secondaire qui est, pour la section EL, une section linguistique unique. Pour l’année 2025-2026, l’EEB3 ne compte qu’une seule classe par année aux cycles maternel et primaire mais elle compte 20 classes au cycle secondaire.
Comme prévu dans les Lignes directrices, lors de l’ouverture de la cinquième Ecole européenne en septembre 2030, les élèves scolarisés dans les classes satellites EL de l’EEB1-BRK auront vocation à y être transférés. Et la structure des classes doit respecter la méthode établie dans les Lignes directrices (point 3).
Ce transfert en bloc exige de dores et déjà mettre en oeuvre, via les PI annuelles qui seront prises jusqu’à l’ouverture de la nouvelle école, les mesures nécessaires pour le préparer, y compris si besoin, des restrictions à certains principes, comme celui du (re)groupement de fratrie, et des adaptations aux circonstances existantes, dans le but d’une intégration complète, dans une seule école, de la section linguistique EL - ce qui n’exclut pas l’adoption d’autres moyens transitoires pour adoucir les conséquences de ces restrictions.
La décision de ne pas dédoubler les classes de primaire à l’EEB3 apparaît ainsi comme proportionnée aux circonstances existantes.
14. Le principe de proportionnalité exige, selon la jurisprudence constante de la Cour de Justice de l’Union européenne (ci-après CJUE), que les mesures imposées par les autorités administratives soient aptes à réaliser l’objectif visé et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à cet effet (cf. Arrêt du 18 septembre 1986, aff.116/82, Commission/Allemagne) ; plus récemment, dans son arrêt du 4 mai 2016, Philip Morris e.a., C-547/14, la CJUE a déclaré que “Ce principe exige, selon une jurisprudence constante, que les actes des institutions de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés”.
En l’espèce, la décision de refuser le dédoublement d’une classe - qui aurait permis d’accepter la demande d\'inscription présentée par les requérants au nom du principe du groupement de fratrie - n’apparaît pas comme disproportionnée pour atteindre l’objectif poursuivi par la PI 2025-2026, établi dans les Lignes directrices arrêtées par le Conseil supérieur, pour les raisons exposées ci-dessus, et pour éviter les conséquences négatives sur l’organisation dans l’EEB3 et dans le système des EE de Bruxelles, en général. Il n’est pas contesté que la politique générale de répartition de la population scolaire entre les EE de Bruxelles pour faire face à la surpopulation, plus présente dans certaines écoles, est conditionnée par la situation concrète de la répartition des élèves des cycles maternel et primaire de la section linguistique EL entre les classes satellites de l’EEB1-BRK et l’EEB3.
Des solutions alternatives au dédoublement de la classe, moins contraignantes pour la famille et qui auraient pu éviter la scolarisation séparée de la fratrie n’ont pas pu être envisagées, en raison des règles strictes de la PI ; ainsi, puisque “A défaut [de la possibilité d’inscriptions conjointes], la demande est traitée comme celle d’un élève seul” (article 5.3 in fine), la fille cadette des requérants ne pouvait qu’être séparée de sa soeur puisque l’article 6.17.g) de la PI trouvait alors à s’appliquer et qu’il prévoit que « Toutes les demandes d’inscription aux cycles maternel et primaire de la section EL sont dirigées vers les EEB1-BRK (classes satellites) et EEB3 ».
Et le dédoublement de classes primaires à l’EEB3 est contraire à l’objectif établi pour l’EEB3 (consolider les classes du cycle secondaire et éviter l’augmentation des classes dans le cycle primaire), raison pour laquelle, une fois atteint le seuil de 30 élèves, il n’y a plus des places à pourvoir, ce qui justifie le refus de l’inscription conjointe dans la même école.
Comme il a été dit, le pouvoir accordé dans les Lignes directrices à l’ACI (point 3 « Méthode », page 9) pour définir la structure des classes et les ajuster en cours de campagne d’inscription, n’est pas un pouvoir discrétionnaire absolu, car il est limité par les objectifs et la méthode établie pour les atteindre. L’article 3.2 de la PI établit clairement que dans l’exercice de ce pouvoir, l’ACI doit « … garantir l’équilibre de la répartition de la population scolaire globale tant entre les différents sites qu’entre les sections linguistiques et l’utilisation optimale des ressources ». Or, aucune violation de ces principes n’a été signalée dans la requête, tout comme aucune mesure alternative autre que le dédoublement de classe n’a été proposée, ce qui n’exclut pas que les Ecoles, en collaboration avec les parents, puissent trouver des moyens pour alléger la situation, certes difficile, exposée par les familles.
17. Il résulte de tout ce qui précède que la requête n’est pas fondée et doit être rejetée.