Abstract
Appréciation du Président de la Chambre de recours
4. Il convient d’appliquer à la présente requête - qui contient des demandes différentes, relevant de délais et de procédures propres à chacune, et à l’appui desquelles le requérant invoque les mêmes arguments -, la procédure prévue par l’article 40 bis du RP puisque le requérant lui-même conclut que le renvoi à une section de 3 membres prévu par cet article est justifié :
“Finally, I feel that the omission of the key part of the case, the applicability of EU legislation to the ESS required by the ES Convention, as described above, is sufficient grounds for a referral under article 40a”.
On peut relever subsidiairement que la requête ne peut être traitée ni comme une demande de rectification d’erreurs matérielles (article 38 du RP) ni comme une demande en interprétation (articles 36 et 37 du RP).
D’une part, il apparaît clairement de la simple lecture de la requête qu’il n’y a pas d’erreur matérielle à corriger ; en réalité, le requérant entend obtenir des réponses complémentaires que l’ordonnance motivée du 4 avril 2024 ne lui donnerait pas, ou d’en modifier la motivation avec laquelle il n’est pas d’accord. Il ne s’agit en tout cas ni de corriger des « erreurs de plume ou de calcul » ni des « inexactitudes évidentes », comme l’exige l’article 38 du RP.
D’autre part, une demande en interprétation ne se conçoit que s’il y a lieu d’éclaircir un concept obscur ou exprimé d’une façon peu compréhensible dans la décision, mais toujours avec la limite de ne pas altérer la motivation et le raisonnement sous-jacent à cette décision, ni surtout d’en modifier le dispositif.
Que ce soit la rectification d’erreurs matérielles ou l’interprétation d’une décision, ces demandes ont une finalité précise qui répond au principe, qui s’impose tant aux parties qu’à la Chambre de recours, de l’interdiction de modifier les décisions juridictionnelles, sauf par les voies de recours prévues aux textes.
Il convient de rappeler ici que, conformément à l’article 27 de la Convention portant statut des Ecoles européennes, la Chambre de recours statue en première et dernière instance, et que les seules voies de recours permettant de réviser les décisions rendues (et donc d’en changer le sens) sont le recours en révision (articles 39 et 40 du RP) et le renvoi en section de trois (ou cinq) membres (articles 40 bis et 40 ter du RP).
En conclusion, les moyens développés par le requérant pour fonder ses demandes de rectification d’erreurs matérielles ou en interprétation ne sont pertinents ni quant à la forme (chaque demande devait être présentée séparément), ni quant au fond car la finalité poursuivie par le requérant avec la présente requête n’est pas de corriger des défauts dans la rédaction ou d’améliorer la compréhension de l’ordonnance motivée du 4 avril 2024, tout en conservant son raisonnement et son dispositif.
En réalité, le requérant va bien au-delà de cette finalité : par les questions qu’il pose, il ne demande pas une interprétation de l’ordonnance motivée, mais des explications complémentaires sur la motivation de cette ordonnance, qu’il remet fondamentalement en question.
Ses demandes et questions démontrent dans son chef une mauvaise compréhension des considérations juridiques qui sous-tendent l’ordonnance motivée du 4 avril 2024 et/ou une méconnaissance des règles de recevabilité, des limites de la compétence donnée à la Chambre de recours par l’article 27 de la Convention portant statut des Ecoles européennes et du rôle dévolu à chaque instance au sein du système sui generis des Ecoles européennes.
5. L’article 40 bis du Règlement de procédure est libellé comme suit :
« 1. Indépendamment de la procédure de révision prévue aux articles 39 et 40, les décisions prises dans les conditions définies aux articles 20 bis et 32 du présent règlement peuvent faire l’objet, à titre exceptionnel, d’un renvoi à une section de trois membres à la demande expresse d’une partie fondée sur un motif d’une particulière gravité et formulée dans le délai d’un mois suivant la notification de la décision.
2. La décision de renvoi ou de rejet de la demande de renvoi est prise par le président de la Chambre de recours ou, dans le cas où l’affaire a été jugée par celui-ci, par le président de la section à laquelle elle pourrait être attribuée. Cette décision ne peut faire l’objet d’aucun recours.
3. En cas de renvoi, la section de trois membres ne peut comprendre le membre de la Chambre de recours qui a statué en tant que juge unique. Elle statue par voie de décision selon les règles de la procédure ordinaire ».
6. La demande dûment analysée comme une demande de renvoi en section de trois membres, a été présentée dans le délai prévu d’un mois suivant la notification de l’ordonnance du 4 avril 2024 : elle est recevable ratione temporis.
Il convient dès lors d’examiner si les motifs invoqués par le requérant sont d’une « particulière gravité », expression qu’il faut interpréter à la lumière du caractère exceptionnel, donc restrictif, de cette procédure dès lors que la Chambre de recours a reçu compétence pour statuer « en première et dernière instance », comme rappelé ci-dessus (article 27.2 de la Convention portant statut des Ecoles européennes).
Le renvoi à une section de 3 membres ne peut être assimilé à un recours en appel, à un pourvoi en cassation ou encore à toute autre voie de recours organisée dans la plupart des systèmes juridiques nationaux et destinée à porter le litige devant une instance supérieure.
C’est pourquoi il est prévu que la demande de renvoi doit être fondée sur un « motif d’une particulière gravité » à propos de l’application ou de l’interprétation de la Convention portant statut des écoles européennes ou des textes juridiques pris en exécution de celle-ci, ou encore sur une question grave de caractère général, et non limitée au cas particulier, qui mérite d’être examinée (voir par analogie l’article 73 du Règlement de procédure de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui organise le renvoi à la Grande Chambre et le paragraphe 3 qui indique que « la décision de rejet de la demande n’a pas besoin d’être motivée »).
7. En l’espèce, force est de constater que les éléments allégués par le requérant ne remplissent pas les conditions exigées par l’article 40 bis du RP dès lors que sa demande ne pose pas une question de caractère général particulièrement grave et nouvelle.
8. La demande initiale du requérant, introduite par sa requête enregistrée sous le n° 23/37, a été rejetée comme irrecevable tant en ce qu’elle était présentée à titre personnel par M. [...] qu’en ce qu’elle était présentée au nom de l’ensemble des chargés de cours de l’Ecole européenne de [A]. Pour chacun des motifs d’irrecevabilité, l’ordonnance motivée du 4 avril 2024 cite les articles du Règlement de procédure concernés et les raisons factuelles pour lesquelles l’irrecevabilité a été retenue. L’appréciation des questions de recevabilité de la requête initiale de M. [...], enregistrée sous le n° 23/37, a été faite eu égard au cas d’espèce, aux conditions dans lesquelles elle a été présentée et aux arguments invoqués.
9. Aucun des motifs de la demande de renvoi à section de trois membres ne révèle un problème grave d’application ou d’interprétation des règles normatives applicables, ni de violation d’un principe de droit fondamental.
Le droit à un recours effectif - principe général de droit qui trouve bien à s’appliquer dans l’ordre juridique des Ecoles européennes - doit être considéré comme satisfait dès lors que sont organisées des voies de recours permettant de contester des décisions adoptées par les différents organes des Ecoles européennes, dans les conditions prévues à l’article 27 de la Convention portant statut des écoles européennes et dans les textes pris en exécution de celle-ci (« Les conditions et les modalités d\'application relatives à ces procédures sont déterminées, selon le cas, par le Statut du personnel enseignant ou par le régime applicable aux chargés de cours ou encore par le Règlement général des écoles européennes » – article 27.2 de la Convention).
Le contenu matériel de ce droit à un recours effectif peut être résumé comme étant le droit de recevoir une réponse juridique motivée de la part de la juridiction compétente - qui n’est toutefois pas obligée de répondre à tous les moyens et arguments soulevés par les parties ; dans ce contexte, une simple décision d’irrecevabilité satisfait déjà le droit au recours effectif, même si elle ne répond pas aux moyens allégués au fond.
10. Il convient de relever qu’à l’évidence, l’ordonnance motivée du 4 avril 2024 répond parfaitement aux exigences de ce droit fondamental à un recours effectif ; contrairement à ce qu’allègue le requérant, cette ordonnance contient tous les éléments qui permettent de considérer le recours irrecevable pour plusieurs motifs : l’absence de recours administratif préalable, l’absence d’identification de l’acte attaqué faisant grief au requérant, le manque d’intérêt individuel à agir, l’absence d’habilitation pour représenter les chargés de cours (de l’Ecole européenne de [A]) et les limites de la compétence ratione materiae de la Chambre de recours.
Cette constatation, qui sous-tend toute la motivation de l’ordonnance motivée du 4 avril 2024, peut ne pas être partagée par le requérant, mais elle est conforme aux exigences du droit à un recours effectif.
Aucun des motifs de la demande de renvoi à une section de trois membres ne révèle un problème grave d’application ou d’interprétation des règles normatives applicables, ni de violation d’un principe de droit fondamental. En concluant à l’irrecevabilité du recours initial, la Chambre de recours n’était nullement obligée de se prononcer sur les moyens de fond, et encore moins tenue de se prononcer sur des considérations générales à propos de l’éventuelle obligation du Conseil supérieur de transposer dans le Statut des chargés de cours les Directives européennes prises par les Etats membres.
11. Enfin, on relèvera que les questions et demandes posées par le requérant dans la présente requête ont depuis longtemps été tranchées par la Chambre de recours et la Cour de Justice de l’Union européenne.
En effet, il est clairement établi que, même si le système des Ecoles européennes est très étroitement lié à l’Union sur le plan fonctionnel, on ne peut en déduire que le Conseil supérieur aurait une obligation, en vertu de la Convention portant statut des Ecoles européennes, de transposer dans le Statut des chargés de cours les Directives européennes prises par les Etats membres, comme le prétend le requérant, obligation qui ne pèse que sur les Etats membres (article 288 du Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne, ci-après le TFUE).
Il est constant dans la jurisprudence de la Chambre de recours que le système juridique des Ecoles européennes est un système sui generis qui se distingue de l’Union européenne et de celui des Etats membres, tout en réalisant une forme de coopération entre eux. On peut en déduire que les instruments nationaux ou internationaux auxquels les Ecoles européennes ne sont pas elles-mêmes partie ne sauraient engager juridiquement celles-ci en tant que telles (voir décision 07/14 du 30 juillet 2007, rappelée dans plusieurs décisions postérieures).
La position de la Cour de Justice de l’Union Européenne confirme cette interprétation (voir le récent arrêt du 21 décembre 2023, C-431/22 qui énonce que : “ 52. À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le système des écoles européennes est un système sui generis qui réalise, au moyen d’un accord international, une forme de coopération entre les États membres et entre ceux-ci et l’Union (arrêt Oberto et O’Leary, point 32 ainsi que jurisprudence citée). 53. Il découle également de la jurisprudence que les écoles européennes constituent une organisation internationale qui, malgré les liens fonctionnels qu’elle entretient avec l’Union, reste formellement distincte de celle-ci et de ses États membres (arrêt Oberto et O’Leary, point 33 ainsi que jurisprudence citée).
12. Il s’ensuit que les demandes du requérant, que ce soit de renvoi à une section de trois membres, de rectification d’erreurs matérielles et en interprétation, ne peuvent qu’être rejetées.