Abstract
Appréciation de la Chambre de recours
Sur la recevabilité,
15. La recevabilité́ rationae materiae du présent recours n’est pas contestée sauf en ce qui concerne la demande subsidiaire visant à obtenir la condamnation de l’Ecole européenne de Bruxelles I à recommencer les tests comparatifs de langues sur la base desquels la décision querellée a été prise.
La Chambre de recours étant exclusivement investie d’une compétence d’annulation, elle ne peut donner des injonctions aux organes des Ecoles européennes (voir en ce sens sa décision 21/18 du 24 août 2021).
La demande subsidiaire des requérants est donc irrecevable.
Sur le fond,
16. L’article 47 e) du Règlement général des Ecoles européennes dispose que :
(...)
17. Dans le cadre du premier moyen, les Ecoles indiquent que « sans doute l’élève pouvait bénéficier de la présomption établie par l’article 47 e) alinéa 2, aux termes de laquelle s’il a été scolarisé pendant au moins deux années primaires ou secondaires dans une langue, il peut, au sein des Ecoles européennes, poursuivre sa scolarité dans celle-ci ». Les Ecoles soutiennent toutefois que cette présomption n’est pas irréfragable et qu’elle peut être renversée par un test comparatif de langues.
Des tests comparatifs permettent de déterminer la langue maternelle/dominante en tant que première langue (L1), mais il existe une présomption lorsque l’enfant a été́ scolarisé dans une langue autre que sa langue maternelle/dominante.
Selon une jurisprudence constante de la Chambre de recours en la matière, il se déduit clairement des dispositions de l’article 47 e) les principes suivants :
a) un principe fondamental des Ecoles européennes est l’enseignement dans la langue maternelle / dominante en tant que première langue, principe qui implique l’inscription de l’élève dans la section de sa langue maternelle / dominante là où cette section existe ;
b) la langue maternelle / dominante est la langue que l’enfant maîtrise le mieux, de manière à lui donner des bases solides qui lui permettront d’avoir une scolarité épanouie et de faciliter, par la suite, l’apprentissage progressif d’autres langues. Ce principe doit être considéré comme étant précisément conçu dans l’intérêt de l’enfant (voir en ce sens la décision 16/20 - point 24) ;
c) la Langue 1 est déterminée au moment de l’inscription de l’élève et est, en principe, définitive et valable pour tout le cursus scolaire ;
d) le RGEE ne reconnait pas de droit aux parents à ce que leur enfant soit admis dans la section linguistique de leur choix, car cette décision appartient au directeur de l’Ecole qui doit déterminer, en suivant la procédure prescrite, la section linguistique appropriée à l’enfant ;
e) le choix de la section linguistique n’est donc pas laissé au libre choix des parents : il doit résulter d'une appréciation pédagogique réalisée par l’Ecole, dans l'intérêt de l'enfant, au vu des informations fournies par ses parents et, en cas de doute ou de contestation, au vu des résultats des tests comparatifs de langues organisés et contrôlés par l’équipe enseignante ; cette décision est de nature pédagogique ;
f) l’appréciation pédagogique appartient aux enseignants, auxquels la Chambre de recours ne peut se substituer, sauf erreur manifeste d’appréciation ou vice de procédure (voir ses décisions 17/13, 19/51 (point 8) et 19/55 (point 7)) ;
g) les Ecoles disposent d’une certaine autonomie dans l’organisation des tests de langues, mais sous la condition de garantir leur caractère comparable : « les tests de langue doivent se dérouler de manière à pouvoir conduire à une comparaison objective des résultats. » (voir sa décision 17/23).
18. Il ressort de ces dispositions que les tests de langue doivent permettre une comparaison objective des résultats. Il est vrai que les Ecoles disposent d’une autonomie pour organiser concrètement les tests de langue et que le RGEE n’interdit pas aux enseignants chargés de conduire ces tests de les modaliser afin de se faire une opinion quant aux connaissances linguistiques des élèves soumis auxdits tests. Toutefois, la notion de « tests linguistiques comparatifs », à laquelle l’article 47 e) dudit RGEE se réfère, veut que les méthodes utilisées, même si elles ne doivent pas être identiques, garantissent que les compétences linguistiques soient testées de manière objective, selon des standards mesurables et comparables, de sorte que les résultats soient vraiment comparatifs (voir en ce sens les décisions 16/22 (point 11), 21/28 (point 10) et 17/23).
19. En l’espèce, les caractéristiques des tests, décrites dans le cadre du premier moyen avancé par les requérants, ne sont pas contestées par les Ecoles européennes.
La Chambre de recours prend acte que les tests sont intitulés « Test ingresso » en italien et « examen d’entrée » en français. L’enseignant(e) en langue française a indiqué comme remarque « pas admissible en section française ».
La Chambre de recours prend également acte que dans la seconde partie du test en italien, l’enseignant a corrigé plusieurs fautes d’orthographe, tout en accordant le maximum (30 points sur 30).
On relèvera également que le test en italien se conclut par un « 90/100 » alors que les trois parties sont cotées sur 30 points chacune, et que l’élève a obtenu – étonnement … - le maximum pour chacune (le total devrait donc être 90/90 ou 100/100).
20. Il est manifeste que par leur contenu, structure et méthode d’évaluation, les textes proposés à la lecture et à la compréhension, respectivement en français et en italien, présentent des niveaux de difficulté différents et non comparables.
La Chambre de recours ne peut pas souscrire à l’affirmation des Ecoles selon laquelle « l’un et l’autre tests sont d’une difficulté sinon identique à tout les moins similaire ». La Chambre ne peut admettre que les résultats des tests démontrent les compétences comparatives de l’élève dans les deux langues, et ne peut dès lors admettre l’affirmation des Ecoles selon laquelle il serait « évident que ses compétences en italien sont très nettement, très significativement supérieures à ses compétences en français ».
Ayant égard aux dispositions règlementaires et aux principes reconnus par la jurisprudence constante de la Chambre de recours, rappelés ci-dessus, force est de constater que la décision de la Direction de l’Ecole européenne de Bruxelles I par laquelle il a décidé que la langue maternelle/dominante de l’enfant est la langue italien est entachée de vices de procédure. On ne peut en aucun admettre que les méthodes utilisées garantissent que les compétences linguistiques ont été testées « de manière objective, selon des standards mesurables et comparables, de sorte que les résultats soient vraiment comparatifs ».
21. Le premier moyen étant recevable et fondé, il emporte annulation des décisions attaquées sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens avancés par les requérants.
22. Il résulte de ce qui précède que la décision de la Direction de l’Ecole européenne de Bruxelles I du 2 juin 2022 et la décision de l’Autorité Centrale des Inscriptions de 3 juin par laquelle est offerte à l’élève une place en section italienne de l’Ecole européenne de Bruxelles II - site Woluwe doivent être annulées.
23. Si la Chambre de recours ne dispose pas, en l’espèce, d’une compétence de pleine juridiction lui permettant, comme il a été dit ci-dessus, de se substituer à l’autorité concernée ou de prononcer des injonctions à son égard, cette autorité doit néanmoins, en vertu de l’article 27, paragraphe 6 de la Convention portant statut des Ecoles européennes, selon lequel « les arrêts de la Chambre de recours sont obligatoires pour les parties », se conformer à la décision qui lui est notifiée.
Il appartient dès lors aux Ecoles, compte tenu des motifs ayant conduit à l'annulation prononcée, de réexaminer la demande des requérants faisant l’objet du présent recours et de tirer, au vu de tous les éléments d’appréciation dont elles disposeront alors, toutes les conséquences nécessaires du présent arrêt.