BDCREE

Complaints Board of the European Schools

Decision Number: 19/35


Decision Date: 29.08.2019


Keywords

  • change of Language 2
  • admissibility
  • appeal procedures and deadlines
  • right to effective legal redress
  • manifest error

Full Text

  • EN: The English version doesn’t exist
  • FR: Cliquer ici
  • DE: Die deutsche Version existiert nich

Abstract

Appréciation de la Chambre de recours
Sur la recevabilité,
En ce qui concerne l’absence de voies de recours,

6. Aux termes de l’article 27 de la convention portant statut des Ecoles européennes (Journal officiel des Communautés européennes n° L 212 du 17 août 1994, ci-après « la convention ») : « (…) 2. La Chambre de recours a compétence exclusive de première et de dernière instance pour statuer, après épuisement de la voie administrative, sur tout litige relatif à l'application de la présente convention aux personnes qui y sont visées, à l'exclusion du personnel administratif et de service, et portant sur la légalité d'un acte faisant grief fondé sur la convention ou sur des règles arrêtées en application de celle-ci, pris à leur égard par le Conseil supérieur ou le conseil d'administration d'une école dans l'exercice des attributions qui leur sont conférées par la présente convention. Lorsqu’un tel litige présente un caractère pécuniaire, la Chambre de recours a une compétence de pleine juridiction. Les conditions et les modalités d'application relatives à ces procédures sont déterminées, selon le cas, par le statut du personnel enseignant ou par le régime applicable aux chargés de cours ou par le règlement général des écoles (…) 7. Les autres litiges auxquels les écoles sont parties relèvent de la compétence des juridictions nationales. En particulier, leur compétence en matière de responsabilité civile et pénale n'est pas affectée par le présent article ».
La Chambre de recours a jugé, à plusieurs reprises, que sa compétence était strictement limitée aux litiges que mentionnent les stipulations précitées de la convention et que cette compétence ne pouvait, en principe, s’exercer effectivement que dans les conditions et selon les modalités déterminées par les textes d’application auxquels elles renvoient (voir, par exemple, la décision du 22 juillet 2010, rendue sur le recours 10/02).

8. (...)
Cependant, ces dispositions ne prévoient pas de procédure permettant à un parent d’élève de mettre directement en cause la légalité d’une décision du Directeur d’une école rejetant, comme dans la présente affaire, une demande de changement de Langue II.

9. Si tel était également le cas pour des décisions imposant un changement de Langue I, la Chambre de recours a considéré que cela ne signifiait toutefois pas qu’une voie de recours devant elle ne soit pas ouverte pour un changement de ce type et qu’une telle mesure puisse échapper à un contrôle judiciaire. Etant donné qu’il s’agissait d’une mesure qui concernait le lien fondamental entre l’élève et l’une des écoles européennes, une voie de recours devant la Chambre de recours devait être possible contre une telle décision, à tout le moins au titre des principes qui régissent un Etat de droit (décision du 22 juillet 2010, rendue sur le recours 10/02).

10. En effet, depuis son arrêt du 22 juillet 2010 précité, la Chambre de recours admet qu'il y a lieu de déterminer la portée exacte de la décision attaquée et de vérifier si son incompétence pour annuler cette décision en raison de l’absence de voies de recours prévues par les textes d’application de la convention serait de nature à porter atteinte au principe du droit à un recours effectif. Le droit à une protection juridictionnelle effective est non seulement admis par la convention portant statut des écoles européennes, mais il figure aussi au nombre des droits fondamentaux reconnus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi qu'au nombre des principes généraux du droit de l’Union européenne (voir, par exemple, l’arrêt de la Cour de justice du 13 mars 2007, Unibet, C-432/05, Rec. p. I-2271, point 73). Ainsi la Chambre de recours a-telle estimé dans sa décision 15/38 du 11 février 2016 (point 12) qu’une décision qui affecte profondément le lien fondamental entre l’école et l’élève et son droit à l’éducation reconnu par l’article 14 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, peut être soumise à un contrôle judiciaire par application des principes applicables dans un État de droit (cf. Article 47 de la même Charte).

11. Il y a lieu, dès lors, pour statuer sur l’exception d’irrecevabilité soulevée, dans la présente instance par les Ecoles européennes, de déterminer la portée exacte de la décision attaquée et de vérifier si l’incompétence de la Chambre de recours pour annuler cette décision serait de nature à porter atteinte au droit à recours effectif.

12. Selon les Ecoles européennes, il n’existe pas de droit au changement de Langue II, cette question étant purement pédagogique et un tel changement n’affecte pas un droit à l’éducation. En effet, selon elles, contrairement à la détermination de la Langue I pour laquelle les textes applicables garantissent à l’élève un enseignement dans sa langue maternelle ou dominante, il n’en est pas de même en ce qui concerne la Langue II. Si celle-ci fait certes l’objet d’un choix initial, une fois ce choix effectué, les parents doivent se conformer au programme pédagogique fixé par les Ecoles.

13. Il est vrai qu’il n’existe pas un droit au changement de Langue II en ce sens qu’il ne saurait être fait automatiquement droit à une demande visant un tel changement, quel qu’en soit le motif. Pour autant, il ne saurait être exclu, par principe, que le rejet d’une demande visant à obtenir un tel changement dans des circonstances dûment justifiées affecte le droit à l’éducation de l’élève intéressé.

14. A cet égard, il ressort des dispositions du point 2.2 de la décision du Conseil supérieur des Ecoles européennes portant structure des études et organisation des cours dans les Ecoles européennes (document 2011-01-D-33) que, s’agissant de la Langue II, il n’est pas envisagé normalement de changements dans les choix linguistiques. Toutefois, ces mêmes dispositions prévoient (point b) que « si un changement de langue est demandé, quel que soit l’âge ou le niveau, la décision incombe au directeur et est soumise aux conditions suivantes :
• L’existence d’une requête écrite fondée émanant des parents (…)
• Une délibération et une décision relative à cette requête prise par le Conseil de classe.
• Une preuve claire, établie par l’Ecole, de la capacité de l’élève à suivre le cours demandé. Dans le cas d’un changement de LII, il faut accorder une attention particulière au rôle de la LII en tant que langue d’enseignement pour d’autres matières. Lorsqu’un changement de LII est approuvé avant la 6ème année, la nouvelle LII devient la langue d’enseignement pour histoire, géographie et économie (…).
• L’absence d’obstacles administratifs importants pour le changement demandé.
• La décision et les raisons la justifiant seront notifiées au demandeur.
»
Il résulte clairement de ces dispositions que les Ecoles européennes n’excluent pas la possibilité pour les parents de demander, et d’obtenir, le cas échéant, dans des cas exceptionnels et pour des motifs impérieux, un changement de Langue II si certaines conditions sont remplies. Dès lors, il y a lieu de considérer que l’intervention d’une décision de rejet d’une telle demande de changement de Langue II est susceptible, dans certaines circonstances, d’affecter le droit à l’éducation de l’élève concerné.

15. En conséquence, l’absence de voies de recours prévues par les textes d’application de la convention serait de nature, dans de telles circonstances, à porter atteinte au principe du droit à un recours effectif pour les parents concernés.
Dès lors, l’exception d’irrecevabilité opposée au présent recours par les Ecoles européennes au motif qu’un tel recours n’est pas prévu par les textes d’application de la convention, doit être écartée.

En ce qui concerne l’absence de recours administratif préalable,
16. Il est constant que la décision attaquée en date du 12 juillet 2019 par laquelle le Directeur de l’EELII a rejeté la demande des requérants précisait qu’ils pouvaient en « faire appel » devant la Chambre de recours.
Dès lors que cette indication concernant la possibilité d’introduire un recours contentieux ne mentionnait pas l’obligation pour les requérants de saisir préalablement le Secrétaire général des Ecoles européennes d’un recours administratif, l’exception d’irrecevabilité opposée dans la présente instance par les Ecoles européennes et tirée de ce que celle-ci n’a pas été précédée d’un tel recours administratif, ne peut qu’être également écartée.

17. En effet, à supposer même que, pour ce qui concerne les recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de rejet des demandes de changement de Langue II, il doive être fait, par analogie, application des dispositions de l’article 50 bis .2 du Règlement général qui exige un tel recours administratif préalable, le caractère alors erroné, à cet égard, de la mention que comportait, comme ci-dessus rappelé, la décision attaquée fait obstacle à ce que puissent être appliquées en l’espèce les règles que comporte ledit article.

En ce qui concerne l’absence de pouvoir d’injonction,
18. Comme l’ont relevé à juste titre les Ecoles européennes, la Chambre de recours ne dispose pas, en matière de changement de Langue, d'une compétence de pleine juridiction lui permettant de se substituer à l'autorité concernée ou de prononcer des injonctions à son égard. Dès lors, les conclusions des requérants tendant à ce que la Chambre de recours autorise le changement de Langue II sollicité ne peuvent qu’être rejetées.

19. Il résulte de tout ce qui précède que le présent recours n’est recevable qu’en tant qu’il tend à l’annulation de la décision du 12 juillet 2019.

Sur le bien-fondé des conclusions à fin d’annulation,
En ce qui concerne les vices de forme invoqués,

20. Les requérants soutiennent, en premier lieu, que la décision attaquée est intervenue au terme d’une procédure irrégulière puisque, lors du dépôt de leur demande de changement de Langue II, l’EELII leur a indiqué que préalablement à la décision qui serait prise deux tests comparatifs (anglais et allemand) seraient organisés. Alors que leur fils s’est préparé pour ces tests, seul le test d’anglais a été réalisé, et, en outre, il n’en a pas été tenu compte.
Toutefois, et pour regrettable que soit le caractère erroné de l’information qui a été ainsi fournie aux requérants, il doit être relevé qu’aucune disposition règlementaire applicable à la procédure de changement de Langue II ne prévoit l’organisation de tests comparatifs. Si, par ailleurs, en vue d’instruire la demande dont elle était saisie, l’EELII a cru devoir, en soumettant l’élève concerné à un test d’anglais, réunir des informations qui pourraient être utiles, le cas échéant, au Conseil de classe lorsqu’il aurait à se prononcer sur cette demande, la circonstance que les résultats de ce test, simple mesure préparatoire, n’aient finalement pas été utilisés par le Conseil de classe n’est pas de nature, par elle-même, à entacher d’irrégularité la procédure en cause au regard des textes qui étaient applicables.

21. En second lieu, les requérants reprochent à la décision attaquée de reposer sur une motivation contradictoire.
Toutefois, il est constant que la décision attaquée par les requérants, en date du 12 juillet 2019, repose sur le motif unique selon lequel le Conseil de classe n’a pas identifié « de justifications pédagogiques à un changement de Langue II pour [A] ».
Il est également constant que les requérants ont eu communication du procès-verbal de la réunion du Conseil de classe du 13 juin 2019 dont l’appréciation concernant [A] est formulée comme suit : « Pas de difficultés d’expression ou de compréhension en DE : il est intéressé et sérieux dans son travail. Bons résultats. Pas de raisons pédagogiques qui justifient un changement de L2. Le Conseil de classe refuse à l’unanimité moins une voix le changement de L2 ».
Dès lors, la motivation de la décision attaquée n’est nullement en contradiction avec l’appréciation du Conseil de classe.

Au fond,
23. Il convient de rappeler qu’il ressort des dispositions précitées du point 2.2 de la décision du Conseil supérieur des Ecoles européennes portant structure des études et organisation des cours dans les Ecoles européennes (document 2011-01-D-33) que s’il n’est pas envisagé normalement de changements dans les choix linguistiques, ces dispositions ouvrent cependant la possibilité pour les parents de demander de manière dûment motivée, et d’obtenir, le cas échéant, dans des cas exceptionnels et pour des motifs impérieux, un changement de Langue II.
En conséquence, il doit être admis qu’il incombe à la Chambre de recours, saisie comme en l’espèce d’un recours mettant en cause la légalité des motifs retenus par le Conseil de classe pour rejeter une telle demande, de vérifier que ces motifs ne reposent pas sur des faits matériellement inexacts et qu’ils ne sont pas entachés d’erreur manifeste d’appréciation.

24. Dans la présente affaire, le Conseil de classe, a considéré, pour rejeter la demande des requérants, que leur fils ne présentait pas de difficultés d’expression ou de compréhension en allemand, qu’il était intéressé et sérieux dans son travail, qu’il obtenait de bons résultats et qu’aucune raison pédagogique ne justifiait un changement de Langue 2.

25. En premier lieu, il ne ressort pas des carnets de note produits au dossier que les résultats de [A] en allemand seraient nettement inférieurs à ceux qu’il avait obtenus dans les autres matières ou en tout cas qu’ils seraient à ce point insuffisants que l’appréciation portée par le Conseil de classe sur ses résultats pourrait apparaître comme étant manifestement en contradiction avec la réalité de la situation de l’élève concerné.

26. En deuxième lieu, en concluant qu’aucune raison pédagogique ne justifiait un changement de Langue II, le Conseil de classe, qui ne s’est pas fondé uniquement sur les résultats de l’élève mais également sur la qualité de sa relation à la matière enseignée, doit être regardé comme ayant nécessairement considéré que les motifs invoqués par les requérants et tirés de ce que leur fils ne se sentait pas à l’aise dans le cours d’allemand, qu’il se sentait en décalage par rapport à la classe, qu’il avait des difficultés à comprendre les consignes, n’étaient pas suffisants pour justifier un changement de Langue II. Il n’est pas établi que les appréciations purement pédagogiques ainsi retenues par le Conseil de classe seraient entachées d’erreur manifeste.

27. En troisième lieu, si, comme le font valoir les requérants, les Ecoles européennes recommandent que la Langue II choisie en primaire soit une langue de proximité, c’est-à-dire la deuxième langue parlée à la maison ou la langue du pays d’accueil ou celle avec laquelle l’enfant est amené à avoir des contacts fréquents ou réguliers (famille, amis, vacances…), il doit être constaté qu’il s’agit d’une simple recommandation destinée à orienter le choix initial de la Langue II. Dès lors, d’une part, les situations ainsi envisagées ne présentent pas un caractère exclusif. Et, d’autre part, si le choix initial de la Langue II a été opéré bien que l’enfant ne se trouve pas dans l’une de ces situations, cette circonstance ne peut pas être regardée, ultérieurement, comme un motif impérieux de changement de Langue II.
Dans ces conditions, les requérants ne peuvent utilement reprocher au Conseil de classe de n’avoir pas tenu compte de leur argument selon lequel le noyau familial ne maîtrisant pas l’allemand, [A] n’avait aucune opportunité de la pratiquer en dehors des cours, situation qui n’est au demeurant pas exceptionnelle.

28. En quatrième lieu, n’apparaît pas davantage comme un tel motif impérieux justifiant un changement de Langue II, la crainte que les difficultés ressenties par l’élève concerné ne s’aggravent au cours de son évolution scolaire, dès lors que, pour légitime que soit cette crainte, largement partagée par les autres parents, elle ne peut être regardée comme relevant d’une situation exceptionnelle.

29. Enfin, le Conseil supérieur des Ecoles européennes, en admettant qu’il puisse être dérogé, dans certains cas et sous certaines conditions rappelées ci-dessus, au principe du caractère définitif des choix linguistiques, a nécessairement mis en balance à la fois les intérêts des élèves concernés et les objectifs poursuivis par les Ecoles européennes dans le domaine de l’apprentissage des langues, compte tenu des importantes contraintes organisationnelles qui en découlent pour chacune de ces écoles. Dès lors qu’il n’est pas établi que, sur la base des motifs qui la fondent, la décision attaquée ne s’inscrirait pas dans le cadre ainsi fixé par le Conseil supérieur des Ecoles européennes, il ne saurait être reproché à cette décision d’avoir des effets hors de proportion au regard de la situation de [A].

30. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l’annulation de la décision attaquée et que leur recours doit, par conséquent, être rejeté.