Abstract
Appréciation de la Chambre de recours
Sur le fond,
(...)
Enfin, l’article 44.2 prévoit que « le Conseil de discipline a pour tâche d'examiner les manquements graves des élèves aux règles de l'école et aux règles générales de la vie en commun au sein de l’école ».
15. Il ressort tant de la jurisprudence de la Chambre de recours (voir notamment les arrêts rendus sur les recours 07/14 du 31 juillet 2007, 08/06 du 5 août 2008, 08/51 du 25 mai 2009 et 09/01 du 20 décembre 2011), que de celle de la Cour de justice de l'Union européenne (voir les arrêts dans l’affaire C-196/09 (Miles) du 14 juin 2011 et dans les affaires jointes C-464/13 et C-465/13 (Europäische Schule München) du 11 mars 2015) que le système juridique des Ecoles européennes étant un système sui generis qui se distingue à la fois de celui de l’Union européenne et de celui des Etats membres, tout en réalisant une forme de coopération entre eux, les principes fondamentaux communément admis tant dans l’ordre juridique de l’Union que dans celui des Etats membres doivent servir au moins de référence pour l’action de leurs organes et que les justiciables sont donc recevables à invoquer l'illégalité d'actes pris par les autorités relevant du système des Ecoles européennes non seulement au regard de la convention portant statut desdites Ecoles et des textes applicables en vertu de celle-ci, mais également au regard des principes généraux du droit de l'Union européenne.
Au nombre de ces principes généraux, figure notamment le principe de proportionnalité.
16. Comme la Chambre de recours l’a déjà souligné dans sa jurisprudence antérieure, le principe de proportionnalité exige que l’intensité des peines ne soit pas disproportionnée par rapport à la gravité de l’infraction. Ainsi, les mesures appliquées par les autorités compétentes, en particulier l’exclusion définitive des Ecoles européennes, doivent être proportionnelles à la gravité de l’infraction. En l’espèce, l’examen d’un manquement aux règles de l’école en liaison avec une infraction commise et en fonction de la gravité de l’infraction commise, et son effet sur la communauté scolaire permet une différenciation (voir à ce sujet les arrêts rendus par la Chambre sur les recours 15/12 du 29 septembre 2015, point 27 et 17/05 du 7 juillet 2017, point 10).
Selon ce même principe de proportionnalité, les actes pris par les organes compétents ne doivent pas dépasser les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimement poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir l’arrêt précité sur le recours 08/06, point 13, qui reprend lui-même des références à la jurisprudence pertinente de la Cour de Justice de l’Union européenne).
17. (...)
Comme la Chambre de recours l’a également déjà exposé dans sa jurisprudence antérieure, elle ne peut contrôler que de manière limitative les éléments ayant permis au Directeur de l’école et au Conseil de discipline d’apprécier le concept juridique imprécis de « manquement grave ». Ainsi, pour déterminer si le comportement de l’élève doit être apprécié comme un manquement aux règles de l’école à ce point grave qu’il conduit à l’exclure du système des Ecoles européennes, elle doit se baser sur les constatations de fait du litige ayant conduit à la décision litigieuse. Il y a lieu de procéder, avec soin et sans préjuger d’une conclusion, à une constatation des faits et indices déterminants ainsi que de procéder à l’établissement nécessaire des preuves ; les faits à décharge doivent aussi être recherchés et établis. À cet effet, le Directeur de l’école et le Conseil de discipline se doivent de respecter les principes généraux de procédure, d’une part, et les conditions de l’article 40 et suivants du RGEE, d’autre part (voir à ce sujet l’arrêt précité rendu sur le recours 15/12, point 20).
18. La question qui se pose en l’espèce est de savoir si, à la lumière des faits tels qu’ils ressortent du dossier devant la Chambre de recours, la sanction disciplinaire infligée à […] respecte le principe de proportionnalité, tant par rapport à la gravité de l’infraction - laquelle doit être suffisamment prouvée et dûment qualifiée - que par rapport aux limites de ce qui est nécessaire et appropriée d’un point de vue “éducatif et formateur” (cf. la première phrase de l’article 40 du RGEE).
21. En procédant avec soin à l’examen de ces faits et constatations, la Chambre de recours ne peut que conclure que l’incendie qui s’est manifesté le 19 mars 2019 dans les toilettes au premier étage du bâtiment A de l’Ecole de Bruxelles IV, a été la suite déplorable d’un acte de négligence d’un élève qui ne s’est pas assuré de l’extinction totale d’un morceau de papier jeté dans la poubelle.
(...)
Il est vrai que le fait d’être en possession d’un briquet et de l’utiliser pour allumer dans les toilettes une ‘fausse cigarette’ sont des actes qui en soi sont (directement ou indirectement) prohibés par le règlement d’ordre intérieur de l’école et peuvent donc certainement être sanctionnés au plan disciplinaire. Mais l’imposition de la sanction la plus sévère en la justifiant par une assimilation des actes posés à une mise à feu délibérée de l’école, voire même dans un message officiel adressé aux élèves de l’école, à un incendie volontaire (et donc un acte criminel) dirigé à mettre en danger la communauté scolaire, ne tient pas suffisamment compte des circonstances particulières de l’espèce en tant qu’éléments à décharge, condition nécessaire pour rechercher avec respect du principe de proportionnalité, l’équilibre entre la lourdeur de la peine et la gravité de l’acte.
22. (...)
Tout d’abord, la Chambre de recours relève que la plupart des actes énumérés ci-dessus comme faisant partie du comportement de l’élève “dans son ensemble”, sont postérieurs à l’incendie et peuvent donc difficilement avoir contribué à la mise en danger de la communauté scolaire. Force est de constater par ailleurs, qu’après l’incendie et les déclarations récoltées au sujet de ce qui s’était passé auparavant dans les toilettes, le Directeur de l’Ecole de Bruxelles IV n’a pas fait usage de la disposition de l’article 42 point a) du RGEE, qui lui permet dans “un cas grave, mettant en cause la sécurité ou la santé au sein de l'école” de remettre […] à la garde de ses parents en attendant la réunion du Conseil de discipline.
Ensuite, les faits reprochés de ne pas rapporter avoir commis un acte prohibé (à savoir allumer une fausse cigarette dans les toilettes) et de vouloir dissimuler l’accomplissement de cet acte, même de mentir à ce sujet, au moment où les conséquences non voulues mais désastreuses de cet acte se sont manifestées (à savoir un incendie), et cela par peur évidemment d’être sanctionné, sont en soi également des actes répréhensibles au plan moral et de la déontologie et susceptibles de recevoir une sanction, mais ne constituent pas, à l’appréciation de la Chambre de recours, des manquements à ce point graves qu’ils conduisent à exclure l’élève définitivement de l’école.
Au surplus, certains faits et/ou qualifications relatifs au comportement de l’élève et avancés par les Ecoles européennes dans la motivation pour l’imposition de la sanction la plus sévère, ne correspondent pas à la réalité telle qu’elle sort des pièces du dossier : ainsi, aucune preuve n’est rapportée du fait que l’élève aurait “menti au Conseil de discipline” - au contraire, les aveux de l’élève devant ce Conseil sont utilisés par l’avocat des Ecoles européennes dans son mémoire comme justification de la sanction - ni du fait qu’il aurait “manipulé” ses amis à ne rien dire. Il ressort des différentes déclarations que les élèves présents au moment des faits dans les toilettes ont par après convenus entre eux de ne rien dire, il est vrai à la demande de […], mais il n’est pas prouvé qu’il y ait eu quelconque menace, pression ou autre agissement manipulateur de la part de ce dernier.
23. Enfin, la sanction infligée est également disproportionnée par rapport à ce qui est nécessaire et approprié d’un point de vue éducatif et formateur. Comme la Chambre de recours l’a déjà souligné dans sa jurisprudence antérieure, le principe de proportionnalité exige que l’autorité sanctionnante doit non seulement prendre en compte les circonstances particulières d’un incident mais s’assurer également du fait que les objectifs poursuivis par la sanction justifient les conséquences négatives pour la personne concernée. En d’autres termes, les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés et doivent être mis en balance avec les avantages recherchés par la sanction.
(...)
Si la sanction visée a comme objectif, comme l’exposent les Ecoles européennes dans leur mémoire, de faire prendre conscience à un élève de 14 ans qu’un acte peut avoir pour conséquence, même non mesurée au moment où il est posé, une mise en danger d’autrui, d’autres sanctions moins lourdes et n’entraînant pas les mêmes conséquences négatives pour l’élève, peuvent revêtir, tenant compte des circonstances particulières de l’incident, le même caractère éducatif et formateur, telles par exemple les sanctions qui ont été imposées à d’autres élèves impliqués dans ou présents lors de cet incident : travail de recherche sur les conséquences légales liées aux faits, réflexion sur la prévention d’incendie, rédaction d’excuses à l’école, embellissement des locaux etc., le cas échéant combiné avec une exclusion temporaire ou des retenues.
24. Pour toutes ces raisons, la Chambre de recours considère que l’imposition à […] de la sanction disciplinaire la plus lourde prévue par le RGEE, à savoir l’exclusion définitive de l’école, est disproportionnée par rapport à la gravité des manquements effectivement établis et par rapport aux limites de ce qui est nécessaire et approprié d’un point de vue éducatif et formateur.