Abstract
Appréciation du juge des référés
Sur la recevabilité du recours en référé et sur la demande de mesures provisoires,
[...]
16.
Il résulte des dispositions susmentionnées qu’une demande de sursis à exécution ou d’autres mesures provisoires ne peut être présentée qu’accessoirement à un recours principal, même si cette présentation doit être faite par un recours distinct. Il s’ensuit
qu’une telle demande ne peut pas être admise si le recours principal est lui-même manifestement irrecevable.
Ces dispositions fixent également les conditions dans lesquelles une demande de sursis à exécution ou d’autres mesures provisoires est susceptible d’être accueillie : lorsque l’urgence le justifie, lorsqu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée et qu’il existe, dans les circonstances de l’espèce, un risque réel d’absence d’effectivité du droit au recours.
Ces trois conditions sont, conformément à leur énoncé, cumulatives et non alternatives. En outre, si elles sont réunies, la prise en considération des intérêts en cause ne doit pas s'opposer à la mesure demandée.
On pourrait encore ajouter sur la nature et la nécessité des mesures demandées que « l'objet même de la procédure de référé organisée par les dispositions susmentionnées du règlement de procédure est de permettre, dans tous les cas où l'urgence le justifie, la suspension dans les meilleurs délais d'une décision administrative contestée par le demandeur ou toute autre mesure provisoire justifiée par les circonstances » pour ainsi assurer l’effectivité de la décision sur le fond du recours (voir en ce sens les ordonnances 14/37R, 16/50R (points 13 à 15) et 19/51R (point 9)).
17. En l’espèce, les conditions de forme pour assurer la recevabilité du recours en référé sont réunies puisqu’il a été présenté séparément du recours principal et qu’il contient les éléments, de fait et de droit, destinés à justifier la mesure demandée ainsi que
l’urgence.
Reste dès lors à examiner si les conditions de fond du référé sont remplies.
18. Ainsi que le Tribunal général de l’Union européenne l’a rappelé dans l’Ordonnance du Président du 30 mars 2022 (T-125/22 R), « (…) l’urgence doit, de manière générale, s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C-517/15 P-R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée) ».
19. Le requérant justifie l’urgence en ce que l’exclusion décidée entraînerait un préjudice très important et difficilement réparable dès lors qu’il serait confronté aux difficultés d’intégration dans le système d’enseignement belge - alors qu’il n’a jamais suivi de
cours de néerlandais - et qu’il pourrait également perdre ses acquis en langues étrangères (anglais, espagnol, portugais) et les avantages liés au Baccalauréat européen. Il ajoute que le passage vers une école de la Communauté française entre la 5ème et la 6ème année de l’enseignement secondaire général est compliqué et probablement soumis à une dérogation ministérielle.
Les Ecoles considèrent, elles, que la mère du requérant a été informée oralement des termes de la décision du 2 juin 2022 – prenant effet le 1er septembre 2022 - dès le 19 mai 2022 et qu’il lui était loisible, depuis cette date, de prendre les dispositions nécessaires pour inscrire l’élève - à tout le moins à titre conservatoire - dans un autre établissement. D’autre part, elles ajoutent que le fait que l’élève ne puisse, le cas échéant, réintégrer l’Ecole qu’après la rentrée scolaire ne suffit pas à considérer que le recours en annulation serait dépourvu d’effectivité.
En l’espèce, la Chambre de recours estime que l’urgence est justifiée par la nature des décisions attaquées, qui comportent l’exclusion définitive de l’élève à partir du 1er septembre prochain ; même s’il a pris connaissance de la décision à la date indiquée par les Ecoles, le requérant l’a attaquée par les voies de recours prévues, par voie administrative et judiciaire ensuite. Il faut également prendre en considération la période de vacances qui affecte la gestion des établissements scolaires.
Le requérant a apporté suffisamment d’éléments concrets pour justifier l’urgence de la demande de suspension ainsi que le caractère grave et difficilement réparable du préjudice qui résulterait de la non-adoption de la mesure sollicitée à ce stade de sa scolarité (il entre en dernière année du cycle secondaire), qui lui imposerait de changer de système scolaire, alors même qu’il a suivi l’ensemble de sa scolarité au sein des Ecoles européennes, et cela dans un délai très court.
20. Le risque réel d’absence d’effectivité du droit au recours gît dans les délais d’instruction de la demande principale, combinée au système d’inscription de l’enseignement secondaire.
La Chambre de recours pourra organiser une audience publique, et rendre une décision sur le fond, une fois l’année scolaire commencée. Une annulation de la décision d’exclusion deux ou trois mois après la rentrée scolaire pourrait ne pas avoir d’effet utile car à ce moment-là, l’élève aura déjà dû commencer son année scolaire dans un autre système scolaire (avec toutes les démarches et difficultés que cela
implique pour lui) et ce, sans avoir pu suivre les cours de l’Ecole européenne durant les premiers mois de l’année scolaire, ce qui rendrait très difficile sa réintégration.
Ainsi, il existe bien un risque que l’élève ne puisse plus réintégrer le système des Ecoles européennes, compromettant de fait l’effectivité du droit au recours en cas de décision d’annulation.
21. Selon une jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal général de l’Union européenne, la condition relative au « fumus boni iuris » ou doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée (article 35.2 Règlement de procédure de la Chambre de recours), est remplie « lorsqu’au moins un des moyens invoqués par la partie qui sollicite les mesures provisoires à l’appui du recours au fond apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux. Tel est le cas dès lors que l’un de ces moyens révèle l’existence d’un différend juridique ou factuel important dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure au fond » (Ordonnance du Président TGUE de 31 mars 2022 T-22/22 R).
Ainsi, il faut examiner si, prima facie, les griefs invoqués par le requérant sont fondés et si au moins l’un d’eux est suffisamment sérieux pour mettre en doute la légalité de la décision attaquée et justifie l’adoption des mesures provisoires demandées.
Le premier moyen à l’appui de la demande en référé consiste en la violation des articles 41 et 44,5 du Règlement général des écoles européennes, du principe général des droits de la défense et du principe de motivation des actes administratifs en ce que le Conseil de discipline a été convoqué sur base de deux faits concrets (possession de substances illicites à l’intérieur de l’école et suspicion de vol) alors que l’exclusion définitive a été décidée en raison d’une infraction différente (le nonrespect du Plan d'action du 2 septembre 2021 et le non-respect de sa lettre d'engagement et de motivation du 30 août 2021).
L’article 44 du Règlement général des Ecoles européennes fixe les conditions de fonctionnement des Conseils de discipline afin d’assurer le respect des principes généraux et des garanties des procédures disciplinaires ; comme la Chambre de recours l’a déjà souligné, « Le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne et susceptible d’aboutir à un acte faisant grief à celle-ci constitue un principe fondamental du droit communautaire et doit être assuré
même en l’absence de toute réglementation concernant la procédure en cause (arrêt du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne du 11 septembre 2008, Bui Van / Commission, F-51/07, point 72 ; arrêt du 13 février 1979, affaire 85/76, Hoffmann Laroche/Commission) » (voir sa décision 13/42 du 11 février 2014).
Il résulte des pièces du dossier que les convocations envoyées par l’Ecole à la mère du requérant (mail du 23 mars 2022 et lettre du 7 avril 2022 pour assister au Conseil de discipline - qui a été reporté à plusieurs reprises (1er avril, 2 mai et finalement 19 mai) - ne mentionnait que les deux faits concrets mentionnés, mais non le Plan d’action et la lettre d’engagement, qui ont été évoqués dans la lecture du rapport d’enquête au début de la séance du Conseil de discipline ; pourtant la décision disciplinaire est fondée sur le non-respect du Plan et de la lettre d’engagement. Cela ressort clairement de la lettre de la Directrice de l’école du 2 juin 2022 adressée à la
mère de l’élève, étant la communication formelle de sa décision d’exclusion définitive suite à la recommandation du Conseil de discipline. Ce fait n’est pas contesté par les Ecoles européennes (point 16 de leur Mémoire en réponse).
Cette constatation suffit à considérer, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du recours, que la demande en référé fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée. Et ce d’autant plus qu’il s’agit de la sanction la plus grave (exclusion définitive), ce qui exige une application minutieuse des règles de la procédure disciplinaire.
22. Alors qu'il est de l'intérêt évident du requérant, qui a démontré que les conditions d'octroi du sursis à exécution sont réunies, d'obtenir celui-ci, une telle mesure ne peut être regardée comme susceptible de porter une grave atteinte à celui des Ecoles européennes.
Aux termes de l’article 35.2 du Règlement de procédure, il convient de prendre en considération les intérêts en cause : d’un côté, ceux des Ecoles européennes qui doivent pouvoir sanctionner les comportements qui contreviennent au Règlement général et au règlement intérieur de l’Ecole ; de l’autre côté, l’intérêt de l’élève à terminer sa scolarité dans le système des Ecoles européennes.
La Chambre relève que, malgré les manquements antérieurs de l’élève - que les Ecoles n’ont pas manqué de relever, l’Ecole n’a jamais estimé nécessaire, jusqu’à sa décision du 2 juin 2022, de l’exclure définitivement. L’Ecole a même donné la possibilité à l'élève de passer ses examens en juin, et décidé que la décision d’exclusion définitive ne prendrait effet que le 1er septembre 2022. Ainsi, l’Ecole elle-même a estimé que l’élève pouvait encore fréquenter l’Ecole quelques mois, sans mettre en cause la sécurité ou la santé au sein de l'école.
La Chambre est également attentive au fait que l’élève a fait toute sa scolarité aux Ecoles européennes, dont on connait les spécificités de l’enseignement, et qu’il entre en dernière année du cycle secondaire. Une exclusion définitive à ce stade peut
hypothéquer tout son avenir, non seulement scolaire et mais également personnel.
Les faits qui ont donné lieu à la convocation du Conseil de discipline ont eu un impact considérable au sein de l’Ecole de Bruxelles II, ainsi que le montrent les pièces du dossier en référé. Ainsi, est-il précisé que le sursis à exécution de la décision disciplinaire emporte une scolarisation du requérant dans l’une des Ecoles européennes de Bruxelles, mais pas nécessairement à celle de Bruxelles II, comme le demande le requérant à titre subsidiaire. La décision sera adoptée par le Secrétaire général en tenant compte des besoins inhérents à l’organisation des Ecoles européennes de Bruxelles, après avoir entendu l’élève. Cette scolarisation pourra être assortie, si l’Ecole le décide, d’un plan d’action et/ou d’une lettre d’engagement similaires à ceux que l’élève a accepté en 2021, dont la nonobservation avant le prononcé de la décision principale pourrait donner lieu à la révision de la mesure provisoire adoptée (article 35.3 du Règlement de procédure).
En attendant la décision au fond, la suspension de la sanction disciplinaire permettra à l’élève de terminer son parcours scolaire dans l’une des Ecoles européennes de Bruxelles sans prendre de retard significatif en début d’année scolaire, et ce sans que le pouvoir disciplinaire de l’Ecole ne soit remis en cause.